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  • Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Déterminisme de l'école et péril de la nation sénégalaise

Dernière mise à jour : 13 nov. 2023

L'éducation est l'arme la plus puissante qu'on puisse utiliser pour changer le monde.

Nelson Mandela

Le Sénégal est assis sur du feu. Ses Étudiants sont rentrés chez eux.

Je les ai vus traîner leurs grosses valises. Elles étaient pleines d’embarras. C’est à la maison qu’ils vont le déverser, là où l’espérance prend de la rouille. Ils viendront, puis poseront furtivement le regard sur leurs parents et s'embusqueront dans leurs gites déjà occupés par un cadet. Eux, le sourire pâteux, leur souhaiteront la bienvenue et les rassureront qu’il y a bien une fin à tout ; même d’une grève qui brille par deux faits : sa persistance et son absurdité. Vieille de plusieurs décennies (1), elle épargne présentement de dresser tout calendrier universitaire. La philosophie de l’exception sénégalaise voudrait peut-être nous faire avaler qu’il est normal qu’en mois de mai les examens du premier semestre ne soient pas exécutés. Absurde, parce que la perte perpétrée par cette stagnation, cette décadence, est de loin plus considérable que le coût des revendications généralement désolantes. Quand ce n’est pas des professeurs qui réclament des primes supplémentaires, donc des privilèges ; c’est un gouvernement qui tarde à verser à la communauté étudiante ses allocations.


Ainsi, des duels ratinés de notions de droit et de devoir s’emparent-ils de la sphère scolaire pour aboutir à une bagarre de rue : protestation ; forces de l’ordre ; lacrymogènes; jets de pierre ; brassard rouge ; bras croisés ; peur ; sang ; refuge ; maison. Il faut rentrer à la maison pour ne pas risquer sa vie là où on était censé apprendre à vivre. L’étudiant rentre, obscurci et désemparé, se gripper aux soucis déjà pesants du ménage. Il s’y réveille, essaie de ne pas être désœuvré quand il cultive quelque vergogne, et n’ose jamais interroger son sort. Il sait que sa présence met la famille dans une profonde angoisse et aurait bien voulu les rassurer à son tour. Malheureusement, lui ne compte que sur la clémence improbable de l’à-venir. Comme sa famille, comme tout le monde, espérer s’impose même quand on n’y croît plus. A vrai dire, dans les familles, au Sénégal, on ne sait plus quoi faire des Étudiants.

Rapidement la rue commence à faire leur procès : ceux sont des vandales, tranche-t-on.

Les Étudiants sénégalais se font tabasser et embarquer par les forces de l’ordre, lors des fronts (2), comme de preux voleurs. En effet. Les Étudiants sénégalais bloquent la circulation ; cassent des voitures ou même leurs propres bâtiments. Cela arrive. Le niveau des Étudiants sénégalais est à ce jour très inquiétant. Je le confirme. Les Étudiants sénégalais sont donc des inconscients. Je réfute. C’est la mauvaise conclusion contre laquelle je m’insurge en considération de ce monde d’adultes qui attendent d’une jeunesse sénégalaise quelque chose qu’ils n’ont pas semée en elle. L’Université sénégalaise, ou l’école sénégalaise tout court, est lamentable parce que les adultes ont échoué.

Les adultes ont échoué parce qu’ils n’ont jamais su identifier en l’éducation le salut de toute société, toute nation, appelée à émerger. C’est pourquoi des parents osent assurer le festin de la Tabaski et laisser les enfants déambuler sans la moindre instruction de quelque nature que ce soit. C’est pourquoi les parents sénégalais continuent d’aller au travail, de se sacrifier, et ne comprennent pas pourquoi leur effort n’est pas fructueux : l’absence d’éducation des enfants largués à la maison sape tout espoir de devenir.


C’est pourquoi, enfin, ils ne se sont manifestement jamais inquiétés de ce que l’on inculque aux enfants dans les écoles et les daaras et ne descendent pas dans la rue réclamer de meilleures conditions d’apprentissage pour les enfants, comme quand leurs salaires à eux arrivent en retard. Les adultes sénégalais ont échoué, parce qu’ils n’ont pas su. Ou ils n’ont pas voulu savoir, car au moins, eux, fervents monothéistes qui le revendiquent à cri et à cor, n’ignorent pas l’anecdote de la grotte de Hirâ' : Iqra (Sourate 93, l'Adhérence, Al-'Alaq). Et reconnaissent sans doute cette injonction : « instruis l'enfant selon la voie qu'il doit suivre, et quand il sera vieux il ne s'en écartera pas.» (Proverbe 22.6, La Sainte Bible)

Les hommes d’État, eux, savaient, savent. Ils n’ont pas suffisamment sensibilisé les adultes sénégalais sur la nécessité d'amener les enfants sénégalais à l'école et de leur dispenser une éducation ; encore moins les y contraindre. La volonté d’instruire tous n’a été que politiquement formulée ; timidement poursuivie et tout sauf réussie. Mes preuves : au Sénégal, on ne produit presque rien de ce que nous consommons ; l’endettement et la négociation sont nos seules sources de financement; il n’est même pas à l’ordre du jour d’avoir notre propre monnaie ; on n’a rien proposer à l’Humanité, si ce n’est notre bonne signature, seule recette qu’ils ont pu nous dénicher pour gagner les bonnes faveurs de l’extérieur et espérer nous doter un jour de moyens de production.


Nous ne sommes pas encore des Citoyens émancipés, toujours à la quête de « partenaire(s) privilégié(s) ». Nos hommes d’État, eux, savaient, savent. Ce n’est pas par hasard que seulement un petit nombre d’entre leurs enfants reste au bercail y mener ses études supérieures. Ailleurs, ils y ont la chance d’y découvrir le savoir qui cesse d’être une vague abstraction ; ils y vivent l’éclosion de leur esprit et de retour au pays, sans avoir été forcément plus intelligents, ils deviennent nos cadres, car la chance leur a été donnée d’apprendre. Nos hommes d’État, eux, savaient, savent. Et c’est pourquoi je n’ai jamais compris qu’ils puissent concevoir le bien-être et l’autonomie d’une jeunesse qu’ils n’ont pas éduquée.

Finalement, je doute que nos hommes d’État eussent su ; je doute qu’ils savent : qu’est l’école ?

L’école est le lieu par excellence de transmission du savoir. Coranique ou classique, l’école forge la matière à inculquer à l’apprenant pour lui permettre d’affronter le monde. Ce que donne l’école, c’est un bagage, une arme de vie. Nous venons au monde dans un état presque inconscient et constituons un corps vide. Notre conscience reçoit ses premières étincelles avec nos premiers contacts avec le monde ; quand on nous initie au moule humain. On nous donne le sein ; nous met au dos ; apprend à marcher etc. Ces bases acquises, il nous faut approvisionner nos têtes à l’effet de nous affranchir de l’insouciance. Car, il est vrai que la vie ne se jouera pas éternellement sur le dos de maman ou les épaules de papa. Alors, on nous apprend à nous débrouiller ; à nous débrouiller sans faire de dommages : cette tâche ne peut être confiée qu’à des hommes de science, de pédagogie, qui nous indiqueront les chemins pour devenir des hommes complets, sinon parfaits.


À l’école, on apprend ; apprendre étant le plus raffiné verbe humain qui existe. On nous apprend à courtiser le bien et réprimer le mal. On nous apprend à savoir qui nous sommes et ce qu’il nous faut. On nous donne goût au succès et éveille les grands desseins. Autrement, notre rapport avec le monde, c’est le savoir qui le modélise, et par là l’école.

Aussi, le savoir, si beau qu’il puisse nous obséder, n’est-il pas conquis dans le seul plaisir de le disposer. L’école en effet a l’ultime dessein d’améliorer la condition humaine. On étudie pour améliorer le monde. Le monde commençant par chez soi, un arbitrage minutieux est primordial quant au contenu de l’enseignement véhiculé par l’école. Parmi les milliers de choses à apprendre, certaines sont plus importantes, plus profitables, que d’autres. On est dans l’aspect économique de l’école, lequel nous exige de privilégier les enseignements qui influent sur notre production et promettant ainsi notre épanouissement.


Je n’ai jamais digéré le fait qu’on nous eut gavés dès les petites classes avec les saisons ou les modes de vie de la France ; qu’on nous eut tympanisés avec les instincts guerriers de Charles André Joseph Pierre-Marie de Gaulle ou les soubresauts baudelairiens ; les puérilités de la Guerre Froide ou la géographie de l’Amérique seraient-elles ces voies qui nous conduiraient à une autosuffisance alimentaire, à une sécurité sanitaire ou à une paix ferme ? L’école doit certes nous ouvrir au monde, mais point nous y fourrer, comme le fait si bien l’école sénégalaise. Qui a-t-elle formé ? Qu’ont réalisé ceux qu’elle a formés ? En tout cas, on remarque parmi eux plus de profils littéraires (dont moi), rarement excellents, dont la connaissance théorique basée sur l’ailleurs et parfois acquise là-bas peine à être transposée aux réalités et besoins de la nation sénégalaise. Ce que je déplore est le fait que l’intellectuel sénégalais soit assimilé et limité à l’homme de lettres.


Il nous faut aussi, de façon impérative, dans notre marche vers le développement, plus de compétences en sciences et autres disciplines techniques ou manuelles (l’ingénierie ; l’informatique ; la mathématique ; l’aéronautique ; la médecine ; la pharmacie etc.). Une éducation pluridisciplinaire, ciblée et rigoureuse, seule nous épargnera le recours à la main d’œuvre extérieure et à l’assistanat. Il est très évident que recourir à l’autre pour manger à sa faim ne doit pas surprendre lorsque je répertorie après une fouille ardue les principaux établissements agricoles au Sénégal : le Lycée Technique Agricole Émile Badiane de Bignona, l'École Nationale Supérieure Agricole de Thiès et récemment l'UFR des Sciences Agronomiques de Saint-Louis depuis 2010. Chacun aura la latitude de constater que leurs historiques et leur rayonnement au demeurant modeste doivent beaucoup à l'apport étranger ; jusqu'à ce jour. Sur la base de sa performance, l'éducation sénégalaise n’est donc pas mature.

Parce que l’éducation détermine le capital humain et qu’au Sénégal on peine à concrétiser sa prééminence ; parce que les maquettes de l’enseignement ne reflètent pas les défis nationaux ; je n’attends pas grand-chose des politiques de développement. Dans le monde, d’hier et d’aujourd’hui, la différence vient d’emblée de ce qu’on appris. Un plan de société qui espère s’en sortir avec des jeunes pas ou mal formés est à mon sens un gaspillage. Il m’aurait été plus agréable d’entendre que l’Assemblée nationale sénégalaise n’a pas de siège que les étudiants n’ont pas d’amphithéâtres. Car j’ai la conviction que chaque individu qui acquiert l’adéquate qualification a le potentiel de changer le destin d’un pays, fût-il « en voie de développement ». En retour, seul l’État qui s’investit franchement dans l’éducation est en droit de s’attendre à de bons résultats et comportements. Seul lui pourra expédier hors de la prestigieuse université les intrus qui seraient venus y faire autre chose qu’apprendre.

Ayant pris connaissance des milliards qui constituent le patrimoine de nos hommes d’État, j’avais espéré voir Monsieur Sall en premier les allouer à une meilleure prise en charge de l’éducation des jeunes sénégalais. Je m’étais cru, pour une fois, croyez-moi, en droit d’être naïf.


(1) Un échantillon de grèves établi par M. Harouna Sy fait de 30 grèves d'une durée de trois semaines à trois mois entre 1961 et 2008 (voir Grèves Scolaires et Universitaires au Sénégal. La mécanique revendicative et ses cadres organisationnels. Liens 11 Déc. 2008, Fastef-Ucad.)


(2) Mouvements de grève qui finissent généralement en affrontement avec les forces de l'ordre. Ceci n'a toutefois rien n'a voir avec l'idée de police universitaire qui balbutierait.



Photo de couverture : © George Becker

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