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  • Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

En toute justice

Dernière mise à jour : 13 nov. 2023

Mon Général,


Vous m’avez coûté de l’encre et du temps. C’est peu important. À votre Peuple, vous avez coûté de la peur et du sang. Il lui revient de décider de votre sort. Si mon avis, néanmoins, était autorisé, je me serais ainsi prononcé : on ne tue pas impunément un être humain.


Vous avez eu recours à l’amnistie. C’était bien tenté. D’autres, comme vous, ou pires que vous, en ont naguère bénéficié, sous un impératif appelé Réconciliation Nationale. Leurs crimes sont ainsi restés indiscutés et impunis, car dans la vie, il faut savoir « fermer la plaie », « tourner la page » et « passer à autre chose ». Est-il besoin que je vous dise, mon Général, que je ne raisonne pas exactement de la sorte ?


Pour moi, mon Général, la réconciliation ne se fait pas sans la justice. Ensuite, mon Général, n’importe qui ne mérite pas d’être pardonné. Dans ce dernier échange qui nous lie, vous me permettrez alors de vous dire pourquoi il importe que vous répondiez de la totalité de vos faits et ordres.


Avant que de parler de ses biens ou même de son nom, ce qu’un être humain a, c’est d’abord sa vie. Tous les combats de l’Homme, tous ses efforts et prières aspirent à rendre cette vie-ci meilleure. Même ceux qui espèrent plus en l’au-delà demandent la longévité dans cette vie-ci, puisque c’est vivant qu’on adore Dieu. C’est de ce droit de vivre que vous avez privé tous ceux qui sont morts dans votre coup d’État. Ils ont été violemment fusillés, leur sang répandu, leurs corps ramassés dans les rues. Comme vous, comme moi, mon Général, ils avaient des rêves, des désirs et des projets… Ils ne sont plus.


Ils avaient aussi des familles. Aujourd’hui, celles-ci sont orphelines. Aux premiers jours, tout le monde partagera leur chagrin. On les félicitera même, lors des condoléances, d’avoir mis au monde des martyrs. Puis, elles seront, petit à petit, laissées à elles-mêmes, de la même manière que les fleurs mortuaires au chevet de leurs progénitures sècheront en quelques heures sous notre soleil sahélien. D’autres morts, de nouveaux martyrs, viendront prendre leurs places. Pendant ce temps, si on vous accordait l’amnistie, vous seriez auprès des vôtres, à leurs soins, comme le ferait l’irréprochable citoyen.


Je ne crois pas, mon Général, que vous soyez un irréprochable citoyen. Ni que vos excuses et regrets (sincères ?) puissent vous en faire un. Vos suiveurs et vous étiez en parfaite possession de votre raison. Le métier des armes étant le vôtre, vous connaissiez mieux que quiconque les effets d’un coup de feu. De même, vous n’ignoriez pas que nul n’a envie de mourir et que les armes effraient facilement. Vous avez tourné, malgré tout, leurs canons contre la population, la même que vous étiez censé protéger.


Certains de vos compatriotes vous en veulent au point de renier leur Armée nationale. Je pense qu’ils ont tort de le faire. De nobles soldats, il en a jadis existé ; il en existera toujours. Ce serait injuste que de vilipender ceux-ci pour une faute qu’un des haut gradés aura commise. Vous nous rappelez, par ailleurs, combien la performance d’un chef peut rehausser ou compromettre le prestige de tout un corps.


Reconnaissez-le, mon Général, vous vous êtes fort mal illustré…sur ce coup, en particulier. Vous seriez venu pour prendre la situation en main, alors que vous peiniez à justifier votre coup d’État. Vous seriez venu pour organiser des élections, en même temps que vous tiriez sur les futurs électeurs. Quant à la réputation de votre Pays, vous ne pouvez prétendre vous en être soucié. Vous avez interrompu sa Transition, qu’il qualifiait déjà d’historique, par un procédé remarquablement scandaleux : une prise en otage de son Exécutif.


Puis, vous voilà, une semaine durant, les yeux en manque de sommeil, à la Une de tous les journaux : amadouant et menaçant ceux qui vous résistent ; accueillant et raccompagnant les émissaires internationaux; séduisant des corps diplomatiques ; négociant finalement, avant de fondre en excuses… Cette comédie a été aussitôt qualifiée de « coup d’État le plus bête au monde ». Vos propres mots l’ont désigné comme votre « plus grand tort ». La convergence de tels termes, bien qu’illustrative, ne dit pas tout de la nature de votre échec.


Celui-ci, mon Général, a été accentué par la clause d’amnistie en vue d’une sortie de crise. Autrement, une demande de protection contre vos propres actes. Comment avez-vous osé en arriver là, mon Général ? Où aviez mis l’éthique de responsabilité, celle qui exige l’individu assume ses erreurs les plus infimes jusqu’à ses crimes les plus odieux ? Cette éthique n’appartient-elle pas à un code d’honneur dont vous avez, au moins par votre formation, connaissance ? Il vous a malheureusement fallu constater une opposition à cette amnistie pour que vous vous rendiez prêt à affronter votre responsabilité.


Dès lors, vous voilà arborant subitement la figure du chef, au moins, courageux. Courage d’apparat, cependant, puisque ce courage ne s’est manifesté que par défaut ; courage illusoire, de surcroit, car nul courage ne compte encore quand son auteur est impliqué dans une tuerie. La vie humaine est sacrée.


Cette sacralité de la vie humaine semble, hélas, incompréhensible pour les derniers dictateurs, vous autres putschistes et autres auteurs de troubles dans nos États africains. On tue au gré de ses pulsions, au motif de vouloir se faire entendre, d’autant plus que des répercussions sont rarement à craindre. On se conforte qu’après le désordre, tout le monde reviendra à de meilleurs sentiments et on prêchera à volonté le pardon.


Pour cela, il suffira d’abuser du crédit des autorités religieuses et traditionnelles amenées à faire des plaidoyers redondants en faveur de la paix. Les pauvres, n’auraient-elles pas déjà averti les dangers d’une crise ? N’auraient-elles pas déjà exhorté les adversaires à « éviter le pire » ? La réponse est strictement affirmative. Seulement, leurs sermons seraient tombés dans les oreilles d’individus que rien n’empêcherait de mettre en œuvre leurs forfaits. Et qui, en cas d’échec de leurs sinistres entreprises, ne se gênent pas de retourner aux genoux des mêmes autorités pour leur demander interventions et bénédictions. Un tel comportement ferait croire qu’on a là affaire à des gamins têtus.


Le malheur est aussi qu’après s’être compromis, dictateurs, putschistes et autres auteurs de troubles risquent de compromettre ces autorités religieuses et traditionnelles chargées de relayer le message de paix et de pardon. Ces dernières ont beau recommander le pardon, il ne doit pas leur échapper que celui-ci ne doit pas remplacer la justice. Et parce qu’à juste titre le pardon est une vertu supérieure à la justice, on doit veiller à le décerner scrupuleusement. Des actions délibérées ne sont pas à confondre à des accidents, surtout quand elles sont meurtrières et perpétrées par des Hommes aux responsabilités nationales. Il n’est pas soutenable de rendre leurs auteurs impunis sous la tutelle salutaire du pardon. L’impunité étant la mère de toutes les insécurités, il ne fait aucun doute que si elle est l’épilogue de ces troubles, on en aura toujours à résoudre dans nos sociétés « pacifiques ».


Ce qui semble faussement une sévérité de ma part, mon Général, est pourtant la seule voie qu’il nous est offert de vivre dans une Afrique apaisée. Des États où il est signifié à tous qu’on ne tue pas des êtres humains gratuitement. Des États où celui qui tient à prendre les individus pour des perdrix sera traité comme tout criminel inutile et nocif. Les morts ne peuvent pas continuer à faire les frais des « des mauvaises décisions » des uns et des autres et l’impunité, le cola de la réconciliation. Pardonner celui qui ne doit pas l’être, mon Général, est aussi grave que punir un innocent.


J’espère que la Justice de votre Pays vous punira avec tous vos suiveurs. Pour le repos de vos victimes, mais aussi la tranquillité de votre population. Cette dernière est en droit d’attendre de ses gouvernants et ses soldats des performances plus réjouissantes que de la spoliation, des coups de force et putschs. Non seulement, « l’heure n’est plus à ce genre d’action » (et elle n’aurait jamais dû l’être), mais elle n’est pas à votre profil d’élite. Elite dont on dira péniblement que le service rendu à leur Patrie a été exemplaire.


Mes condoléances au Burkina Faso.


Adieu, mon Général.



Photo de couverture : © Clker-Free-Vector-Images

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