Mesdames,
Messieurs,
Les plus belles obligations sont celles qui mettent la joie dans le cœur qui les exécute. J’ai le bonheur réel de me présenter une seconde fois ici, à l’École Supérieure de Journalisme, des Métiers de l’Internet et de Communication, moins de deux semaines après l’Atelier d’Écriture que j’animai aux côtés de jeunes écrivains de notre Pays. Les cinq heures qu’on consacra à la Littérature, avec engouement et intelligence, ne déçurent point mes attentes. Vous êtes, chers étudiants de l’É-jicom, des personnes intéressantes dont la compagnie est des plus stimulantes. Je me réjouis d’être de nouveau accueilli parmi vous ; réitère mes respects et félicitations à votre Administration et votre Corps Professoral, tout en éprouvant la même satisfaction de pouvoir me dire, en m’adressant à vous, que je m’adresse à l’Afrique tout entière. Sœurs du Bénin, du Cameroun, du Congo, du Gabon ; Frères de la Guinée Bissau, de la Mauritanie, du Mali, du Tchad, ici au Sénégal, vous êtes bien chez vous. Ne vous étonnez donc pas, qu’en vous saluant, il me plaise de dire : inuwula, pënak, mbote ou afon gandia.
La Littérature sur laquelle nous échangeâmes longuement la dernière fois en vaut bien la peine ; elle est d’un grand intérêt pour l’esprit et la société des Hommes. Cependant, la Politique, objet de la Conférence d’aujourd’hui, est irréfutablement d’un intérêt supérieur. Communément définie comme l’organisation de la Cité, elle est, de par ses enjeux vitaux, la mère de toutes les activités. D’elle, découlent la paix, la prospérité et les orientations qui encadrent et soutiennent toutes les activités de l’Homme. Sans l’esprit politique, il n’y a pas lieu de distinguer la société humaine des autres regroupements animaux. Rien de ce que nous faisons au quotidien n’échappe vraiment à l’influence de la Politique ; celle-ci ayant, de façon plus ou moins déterminante, son mot à dire sur notre rapport avec la nature et avec nos concitoyens ; sur notre manière de fonder une famille et d’éduquer nos enfants ; sur nos libertés de culte ou de pensée… Je me garde, pour ne heurter quelque sensibilité, de déclarer que tout est politique ; néanmoins, je me contente de dire que toute réalité porte en elle une dimension politique.
La Politique est, dès lors, l’affaire de tous les Hommes ; elle concerne aussi bien le nourrisson que la personne âgée. Cependant, tous les Hommes n’accèdent pas immédiatement à tous les droits civiques ni ne peuvent prétendre à un poste politique. Au sein de la Jeunesse, cette population dont l’âge est compris, selon l’Unesco, entre 15 et 24 ans, mais pouvant aller jusqu’à 35 ou 40 ans selon les pays, on remarque, par exemple, que seuls les majeurs ont souvent le droit de voter et que tous, parfois, sont exclus de la liste de ceux qui peuvent devenir Député ou Président. L’activité politique d’un adulte peut donc être sensiblement différente de celle d’un jeune. Pour autant, dans le discours politique, la Jeunesse est plus que présente. Elle est assurément la classe d’âge la plus ciblée ; l’interlocutrice la plus courtisée et est aisément admise comme la plus grande ressource à mobiliser.
La considération de cet âge intermédiaire comme étant le plus bel âge est une longue tradition. Les Bwas du Mali sont si épris de la Jeunesse qu’ils osent affirmer que celle-ci « vaut mieux que manger du mil concassé » (1962). On parle le plus souvent de sa Jeunesse avec nostalgie. Pour les Arabes, « la jeunesse et la santé sont les deux choses qu’on n’apprécie bien que quand on ne les a plus » (1803). Des jeunes, on a toujours admiré la force physique et les capacités intellectuelles, lesquelles se réduisent au fil des ans. Et aux jeunes, on a aussi tenté d’attribuer un certain nombre de traits psychologiques, des plus flatteurs aux moins reluisants. La spontanéité, l’enthousiasme, l’imagination, l’ardeur, l’ivresse, la folie, la démesure en sont quelques-uns. À côté de Sénèque pour qui « le plus grand défaut de la Jeunesse est de ne pouvoir se modérer », on se souviendra volontiers de ces vers de Don Diegue à son fils Rodrigue dans Le Cid de Corneille :
« Agréable colère !
Digne ressentiment à ma douleur bien doux !
Je reconnais mon sang à ce noble courroux ;
Ma jeunesse revit en cette ardeur si prompte.
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte ».
Sur le plan politique, on aime également à louer la fraîcheur des idées des jeunes gens ; à présumer de leurs facultés d’entreprendre et d’innover ; à voir en eux des assoiffés et des vecteurs de changement, quand, simplement, on n’est pas en train de se délecter de leur nombre, lequel est la promesse d’une main d’œuvre alléchante ou d’un bataillon d’électeurs potentiels. Les pays à faible taux de jeunes se disent à leur perte, alors que ceux qui en comptent un grand nombre se permettent d’espérer de meilleurs lendemains. Quel Homme politique ne crie-t-il pas à l’oreille des Jeunes gens qu’ils sont l’avenir d’un pays ? Qui n’aura pas relevé l’intérêt avec lequel les commentateurs se penchent sur les registres démographiques de l’Afrique, présentée comme une actrice-clé du futur depuis qu’on estime que dans un demi-siècle, elle deviendra la population la plus peuplée du monde avec environ 2,2 milliards d’habitants (Afrotopia) dont 30,2 % seront âgés de 15 à 24 ans (Rapport ONU, 2015) ?
L’intérêt que les acteurs politiques manifestent à l’égard de la Jeunesse ne semble pourtant pas réciproque. L’activité politique des Jeunes est rarement jugée intense et est presque négligeable suivant l’époque ou le pays. Nettement sous représentés dans les instances décisionnelles, le nombre des jeunes refusant de s’inscrire dans quelque parti politique ou de se rendre aux urnes est toujours important. Au Sénégal, en 2012, l’abstention des jeunes de 18-25 ans fut, somme toute, de 35%. En France, aux dernières élections présidentielles, 34% chez les 18-24 ans et 40% chez les 25-35 ans s’abstinrent (France Info). Rien ne garantissant que les relations entre la Jeunesse et la Politique s’améliorent, et devant le danger que ce désamour annonce, il nous importera, ensemble, de répondre à trois questions majeures : Pourquoi la Jeunesse tourne-t-elle le dos à la Politique ? Pourquoi la Jeunesse doit-elle renouer avec la Politique ? Comment la Jeunesse doit-elle faire la Politique ?
I. Pourquoi la Jeunesse tourne-t-elle le dos à la Politique ?
Plusieurs frustrations et désillusions sont à l’origine du désamour régnant entre la Jeunesse et la Politique. Si les politiques sont prompts à lister les doléances des jeunes et à leur adresser des promesses électorales, ils sont moins efficaces quand il s’agit de les satisfaire. Les préoccupations des jeunes passent volontiers pour les priorités des candidats, mais semblent oubliées une fois que le mandat est acquis et entamé. Les doléances des jeunes s’entassent comme un vil fonds de commerce, sur lequel chaque candidat viendra s’appuyer pour espérer séduire quelques jeunes électeurs et leur soutirer leurs voix, avant de disparaître pour revenir à la prochaine élection. Les promesses ainsi répétées, mais rarement tenues, font éprouver aux jeunes le sentiment d’être trompés, trahis, abusés, surtout lorsque dans la manifestation de leurs déceptions, ils retrouvent devant eux les Forces publiques et leurs lacrymogènes, décidées à réprimer ce qu’il arrive aux autorités publiques de considérer comme des sautes d’humeur ou des enfantillages. Les plus conciliants parmi ces politiques éviteront la répression et préféreront brandir de nouvelles promesses, en demandant aux jeunes d’être plus patients, les enfermant ainsi dans un lancinant statu quo qui finit par les jeter dans le fatalisme le plus absolu.
Ce fatalisme devient lui-même la cause d’un autre phénomène qui éloigne les jeunes de la Politique. Ayant vainement cru que la Politique prendrait en charge leurs préoccupations, les jeunes qui perdent la foi en cette dernière se replient sur eux-mêmes et abandonnent l’idée d’un progrès collectif, pour ne concourir qu’à leur salut individuel. Le culte du « chacun pour soi ; Dieu pour tous » s’érige ainsi comme seule porte de sortie dans un pays où tout est en panne et où, au mieux, on ne peut qu’espérer sauver sa tête. Une telle attitude, bien évidemment, rompt avec le caractère collectif intrinsèque à tout projet politique.
La non-tenue des engagements formulés devant les jeunes n’est d’ailleurs pas le seul reproche fait aux politiques. Un grand nombre de leurs pratiques ne reçoit pas l’approbation des citoyens en général, et de la Jeunesse, en particulier. Celle-ci semblant mal s’accommoder aux pratiques politiques les plus ancrées se dit régulièrement outrée par certaines manières de faire qui deviennent commodes dans ce qu'on appelle tantôt l’arène politique, tantôt la marre politique. Si la première dénomination peut renvoyer à l’aspect de lutte pour la conquête du pouvoir, la seconde, plus dépréciative, renvoie dédaigneusement à l’image d’un univers politique fait de boue et de puanteurs, où des caïmans et des petits poissons se dévorent et se narguent à loisir. Outre les manquements à la parole donnée, les cas de reniements, de recours aux subterfuges, de banalisation de la transhumance, de marchandage électoral, de trahisons, de dénigrements, d’injures, d’emprisonnements ou parfois de crimes sont autant de laideurs qui rabaissent l’activité politique et décrédibilisent les hommes et les femmes qui la pratiquent. Sous certains cieux, on a même fini par avoir la conviction que pour être un bon politique, il faut une aptitude première : savoir mentir. Si la politique est sans attrait pour des jeunes, c’est donc, simplement, parce que nombreux parmi ceux qui la font ont de ces méthodes que l’intelligence et la morale réprouvent.
Par ailleurs, il convient de signaler que les jeunes ne sont pas toujours hors de l’arène politique de leur plein gré. Il arrive qu’ils y soient discrètement tenus à l’écart par des dispositions institutionnelles et sociales. Les conditions d’âge ont souvent été un habile outil à la disposition des vieux politiques qui s’en sont servi pour échapper à la jeune concurrence. L’argent est également un autre instrument institutionnel et systémique qui dissuade l’activité politique de la Jeunesse. On peut légitimement soupçonner que le montant des cautions requises pour prendre part aux élections soit manipulé pour barrer la route à de jeunes prétendants. Nul n’ignore que dans les régimes où la démocratie n’est pas encore en pleine forme, il est très aisé pour l’Homme au pouvoir de mobiliser les ressources financières dont il a besoin pour participer aux élections. Ce qui n’est pas toujours le cas de ses opposants, surtout les plus jeunes sur le point de l’envol qui vont rencontrer de monstrueuses difficultés pour réunir la somme exigée. Ce n’est pas n’importe quel jeune Sénégalais de 35 ans qui a aujourd’hui la capacité de mobiliser 65 millions pour se porter candidat à la présidentielle. Ce montant fait de notre pays celui qui la caution la plus élevée en Afrique. Elle était de 25 millions en 2007 ; et de 2 millions avant 2000. La République Démocratique du Congo nous succède, ayant fait passer, depuis ce 26 Janvier 2017, sa caution de 50 millions à 100 millions de francs congolais. Si le prétexte est que le montant exorbitant de ces cautions participe à la réduction du nombre de candidats, on oublie de mesurer son impact sur les jeunes candidats et de faire le rapprochement avec un vieux démon contre lequel la démocratie avait tôt déclaré la guerre : le vote censitaire.
Pour élevée qu’elle soit, la caution censitaire n’est qu’une des barrières devant le jeune candidat voulant conquérir un mandat dans les systèmes politiques caractérisés par le néo-patrimonialisme. Ce dernier qui favorise la marchandisation du vote à travers l’entretien d’une clientèle politique exige du candidat de nombreuses ressources financières pour s’assurer d’un fort soutien. Dans certains pays, l’élection est perçue comme un moment faste propice au business. Les billets de banque sont distribués, les pots de vins offerts, avec une libéralité douteuse que ne peut se permettre le jeune candidat qui bat campagne grâce aux seules cotisations de ses modestes partisans.
Enfin, à côté de ce personnel politique constitué de barons ayant fait de la politique leur métier à vie, et renouvelant sans cesse les mandats que des jeunes étaient censés recevoir, l’expression de la Jeunesse dans le milieu politique est étouffée par quelques préjugés répandus dans la société et sournoisement adoptés dans les partis politiques. Il existe souvent des postulats gérontocrates qui voudraient faire croire que la Jeunesse n’a pas les épaules suffisamment larges pour assumer certaines responsabilités politiques. Les jeunes seraient trop impulsifs, trop distraits, trop inexpérimentés, pour guider leurs nations. La place d’un jeune est donc d’être derrière un sage adulte qui saura l’instruire de comment gérer les Hommes ; peu importent les lacunes dudit maître. Le jeune doit donc accepter de jouer le subalterne, le disciple, et attendre que son mentor lui passe le témoin qui risque de ne jamais arriver. Pour la maturité supposée d’un vieil adulte, on met ainsi au banc le talent et les qualités d’un prodige qui peut, de loin, lui être meilleur. L’âge, nous le verrons par la suite, est un critère bien bancal, le caractère d’un Homme étant ce qu’il y a de plus riche en lui. Rodrigue n’avait-il pas répondu au Comte de Gormas :
« Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend point le nombre des années. » ?
Ainsi, la conjugaison des attentes trompées, l’accumulation des frustrations, la multiplication des comportements malsains et les contraintes structurelles ne favorise pas la densité de l’activité politique de la Jeunesse. Sur le terrain particulier de la conquête du pouvoir, on a le sentiment qu’on veut la faire se limiter au seul rôle d’électrice. Ne se sentant ni présente ni bien représentée, la Jeunesse a parfois tendance à se détourner de la Politique qu’elle juge être sans utilité pour elle. Ce qui est, comme je vais m’employer à le démontrer, une erreur d’appréciation.
II. Pourquoi la Jeunesse doit-elle renouer avec la Politique ?
La Jeunesse doit renouer avec la Politique, car on ne se détourne pas de la nécessité ; et la Politique en est une. L’apolitisme, pris dans son sens de désengagement de la gestion de la Cité, est en vérité une terrible démission. C’est un leurre que de croire qu’on peut se tenir à distance de ce qui se passe dans la Cité où nous vivons et au sein de laquelle nous comptons la plupart des êtres qui nous sont chers. C’est un leurre encore plus grand que de croire qu’en se détournant de la gestion de la Cité, celle-ci s’organisera d’elle-même, ou se fera mieux régir par les personnes mal placées dans les bras desquelles nous l’aurons abandonnée. Quand on est déçu de la Politique, on fait de la Politique : on ne se soustrait pas, sinon, la Politique continuera de nous faire subir au lieu de nous réjouir. « Quand on ne fait pas la Politique ; la Politique nous fait. »
Nous devons d’autant plus faire la Politique que c’est pour le bien de notre Cité à qui nous devons notre Citoyenneté ; à la Patrie qui nous a enfantés. Personne, en naissant, n’avait une idée du pays qui serait le sien. Un Décret merveilleux nous a fait naître dans nos pays respectifs qui sont, en retour, à notre charge. La bonne marche de cette Cité est du ressort de chacun de ses Citoyens. Et le patriotisme véritable commence quand on est incapable de dissocier sa réussite de celle de sa Cité ; sa dignité de celle de sa Cité ; son ambition de celle de sa Cité. Il est vain de passer son temps à admirer les pays des autres, de vanter leurs progrès et leurs beautés, quand pour son propre pays, on n’a aucun projet. Les réalisations que nous voyons ailleurs, en fait, doivent nous servir à une seule chose : nous rappeler que réaliser de belles choses est possible et que nos pays doivent attendre cela de nous.
Et à qui voudrait me répondre qu’on peut bien servir son pays sans s’engager nécessairement en Politique, en ayant, par exemple, une bonne attitude citoyenne, en faisant correctement son travail, je lui donnerai raison sans omettre de préciser que l’action d’un tel citoyen n’aura d’effet réel que si elle se fait à grande échelle. Et c’est à cela que concourt la Politique : impulser une dynamique collective de laquelle sortira un bénéfice collectif. La Politique n’est pas l’affaire des individualités. Et quand on croit connaître la bonne voie, il devient obligatoire d’inviter ses Compatriotes à l’emprunter, avec tout l’effort que cela nous coûte. Toute bonne idée prend une nouvelle dimension quand elle devient une politique qui s’exerce sur des millions de vies.
En outre, la Jeunesse ne doit pas se plaire à incarner la figure victimaire, celle que l’on trahit sans cesse et qui s’épanche sur son sort. Non plus ne doit-elle pas continuer de confier ses espoirs à des mandatés qui oublient leurs missions en cours de chemin. La Jeunesse, parce qu’elle force et esprit, doit aimer l’action et revendiquer un rôle dans la construction de la Cité. Qu’elle ne reste pas là à voir se succéder des adultes dont elle critique l’action. Qu’elle cherche à se confronter à celle-ci en posant la sienne. Faire par soi-même ce que l’on attend de l’autre suffit souvent pour mettre un terme à ses déceptions. Cette option est assurément plus éprouvante, mais elle de loin la plus sure : car avec elle, on sait que nous pourrons ambitionner à la hauteur de nos efforts.
Sur ce chemin de ses ambitions, la Jeunesse ne doit point avoir honte de son âge. A défaut d’être un atout pour elle, ce dernier ne peut pas être son handicap. Et l’Histoire, d’ailleurs, nous fournit tant d’exemples de figures ayant réalisé de grandes œuvres à la fleur de leur âge. Soundjata Keïta, celui-là qui n’envie point les exploits d’Alexandre-le-grand, alors orphelin de son père Naré Maghan Djata et exilé par sa tante Sassouma Bérété, reconquit le Manding tombé dans les mains de Soumaoro Kanté et fonda l’Empire du Mali. Il n’avait alors que 18 ans. Thierno Souleymane Baal, en 1776, dirigea les Hommes la Révolution Torodo en chassant du Fouta la dynastie peule Daneeyanke. Thierno Souleymane Baal qui mettra ainsi fin à l’esclavage maure, au système des castes et au pillage des ressources par les élites, avait nourri son projet depuis ses années d’études à Pir. La ville de Touba qui est aujourd’hui une fierté pour des millions de Sénégalais naquit en 1888, alors que Cheikh Ahmadou Bamba n’avait que trente-cinq ans. Valdiodio Ndiaye, en 1958, à l’instar de Sékou Touré, osa préférer l’Indépendance à l’indignité devant Charles de Gaulle, alors qu’il n’avait, lui aussi, que 35 ans. Le 06 Avril 1979, à 23 ans, pour son combat contre l’apartheid en Afrique du Sud, le poète et militant Solomon Malhangu fut exécuté. Méditons les derniers mots de ce jeune homme, reflets de toute la splendeur de son âme : « Mon sang, dit-il, arrosera l’arbre de la liberté ». D’aout 1983 à octobre 1987, Thomas Noel Isidore Sankara, un Capitaine de trente-quatre ans honora son pays du nom de Burkina Faso et leur inculqua l’intégrité qui leur sert encore de surnom. Le meilleur étant pour la fin, comment oublierais-je, Mesdames et Messieurs, Aline Sitoe Diatta, exécutée par le pouvoir colonial pour avoir, à 24 ans, incité à la révolte contre lui. C’est bien Aline Sitoe qui nous apprend qu’« Il ne sert à rien de pleurer, car ce n’est pas des larmes que nous éteindrons les larmes de l’enfer ». À qui donc nous dira qu’on ne peut rien faire grand du fait de notre Jeunesse, ayons simplement la gentillesse d’offrir un livre d’Histoire, car c’est bien l’Histoire qu’il ignore.
Vous voudriez bien remarquer, mes chers amis, que ce si n’était que pour leur confort ou leur prestige personnel, toutes ces figures ne se seraient jamais engagées dans leurs œuvres. Elles endurèrent tant d’épreuves pour donner à leurs Compatriotes une meilleure vie. C’est cette même vie meilleure que nous devons aux nôtres. Même si nous ne l’avons pas nécessairement reçue de nos devanciers immédiats, nous la devons aussi à nos enfants. Et puisque c’est la Politique qui mène à cette meilleure vie, alors, au lieu de jeter cet outil, nous ferions mieux de nous l’approprier et d’apprendre à nous en servir convenablement.
L’insupportable misère dans nos rues qui se brise sur les vagues des eldorados fictifs, les visages creux de nos enfants qui traînent dans les rues à l’heure des cours, nos campagnes sans sages-femmes ni médicaments, nos villes dans l’insalubrité et les eaux, la déliquescence de nos vertus dans notre éducation aujourd’hui négligée, nos écoles qui se livrent à la tricherie même au baccalauréat, notre troisième âge en souffrance et notre Jeunesse dans la tourmente du chômage, sont autant de raisons qui en appellent à notre engagement politique afin que les choses cessent de s’empirer et que l’on renoue avec la grandeur que mérite tout pays.
III. Comment la Jeunesse doit-elle faire la Politique ?
Il va de soi qu’on ne rendra pas à la Politique ses lettres de noblesse en reproduisant les mêmes insuffisances que nous connaissons aujourd’hui. Rompre avec elles suppose qu’on emprunte une autre voie, plus assainie, qu’on ne trace pas en campant dans les seules énumération de reproches et la subversion ponctuelle. L’idée d’une sentinelle politique, belle qu’elle paraisse, ne doit pas contenter la Jeunesse. Dans l’arbitrage qu’on semble ici lui confier, en vérité, bien souvent, on n’attend d’elle rien d’autres que descendre dans la rue, bander ses muscles, crier à sang quand nécessaire, et regagner le camp quotidien de ses activités et loisirs secondaires. La Jeunesse a mieux que sa force brute à proposer en Politique, car celle-ci est avant le domaine des idées, de l’esprit. Le sang des jeunes répandu dans les Révolutions et les crises politiques ne peut être valablement honoré par des bandeaux rouges, des clips et des hommages annuels, mais par la concrétisation effective des idées pour lesquelles ces Martyrs auront été fauchés. Réunir toutes ces idées, les murir comme il se doit et les faire porter sur tous les aspects de la vie est ce qu’il y a de plus cohérent. Le défi véritable de la Jeunesse ne consiste pas à menacer de mettre le pays à feu et sang, à réfléchir à coups de slogans, mais à proposer un projet politique crédible. Dans ce projet, devront se trouver les réponses à de semblables problématiques : De quels types d’Institutions avons-nous besoin dans ce pays et comment les faire fonctionner correctement dans le strict intérêt national ? Comment bâtir une économie dynamique et égalitaire dans laquelle chaque citoyen sera contributeur et bénéficiaire d’une sécurité sociale ? Quelles sont nos visions des rapports entre les genres et entre les générations ? Comment assurer la sécurité de nos Compatriotes à l’intérieur et en dehors de nos frontières ? Quelle politique de l’environnement doit-elle être la nôtre ?... Là doivent être les préoccupations de tout acteur politique, mais surtout celles de la Jeunesse non satisfaite de la vie qu’on l’aura fait mener et qui ne veut tomber dans le même échec. Tout engagement politique d’une Jeunesse doit partir d’une réflexion et d’une formulation d’un projet de société.
Evidemment, aucune de ces problématiques n’est facile à répondre et ce n’est pas par le tâtonnement, par l’amateurisme ou par des accès de colère qu’on y parviendra. La Politique est une affaire plus que sérieuse et ceux ne sont pas des esprits mal-préparés qui doivent l’animer. Elle n’a rien à voir avec l’adrénaline des confrontations physiques, la virulence de la rhétorique ou l’euphorie des meetings : tout ceci n’est que folklores et accessoires. La Politique, c’est une question nationale de vie ou de mort ; de prospérité ou de misère ; de souveraineté et d’assujettissement. Autant d’enjeux primordiaux qui doivent dissuader le premier venu à accepter une fonction politique. Autant d’enjeux primordiaux qui doivent obliger le citoyen et l’aspirant politique à se former en profondeur et à se responsabiliser. La véritable Jeunesse politique est celle qui cultive une conscience politique ; celle qui se prépare à l’exercice du pouvoir quand, à cause de son âge, on la défend de briguer un mandat ; celle qui, à l’exercice du pouvoir, s’active à appliquer, dans le temps qui lui aura été imparti, le projet pour laquelle elle aura été élue et qu’elle aura passé toutes les années derrière à consolider. Jeunes, à nous engager dans la Politique, je nous exhorte ; mais de nous complaire dedans sans aucune préparation, je nous défends.
Et de grâce, n’allons pas croire que sortir des plus prestigieuses Universités et aligner les diplômes remplis d’honorables mentions sont les seules choses que j’entends par formation. La réussite académique et la brillance intellectuelle sont toujours rassurantes, mais son très loin de remplir les qualités attendues dans un Homme politique ou dans un citoyen respectable. La Vertu, cette force morale qu’on a tantôt essayé d’évacuer de la sphère politique demeure l’une des ressources les plus indispensables à l’acteur politique. L’Homme politique et le citoyen respectable doivent avoir en commun la noblesse du caractère. Un Homme malhonnête, injuste, infidèle, poltron ou inhumain, peu importent ses facultés intellectuelles, est dangereux pour un État. La culture des vertus les plus louables doit donc occuper le citoyen et l’aspirant politique, car ce sont elles seules, dans les moments compliqués de l’exercice de la citoyenneté ou du pouvoir leur permettront de prendre les bonnes décisions. La Vertu doit être un impératif pour nous Jeunesse, même si les pratiques que nous observons aujourd’hui la déconsidèrent effrontément.
C’est en cela qu’il est nécessaire d’exercer notre constant jugement sur tous nos héritages reçus. La grandeur des époques n’est pas la même et les Hommes ne sont pas également illustres. Les connaître tous est recommandable, mais les imiter tous est périlleux. Choisissons avec grand soin les figures historiques et imprégnons-nous de leurs œuvres en cherchant à les dépasser. Quant à ceux qui, à nos yeux, auront rendu bien peu de services à nos pays, exerçons notre droit de leur accorder dans nos cœurs le peu d’estime qu’ils méritent, sans passer notre temps à salir leur mémoire par des blâmes qui peuvent rendre compte de notre mépris, mais ne les atteindront plus. Approprions-nous les héritages des hommes et femmes de grande valeur et éloignons-nous fermement de ces autres-là qui auront souvent été un fardeau sur leurs compatriotes.
Nos références identifiées, ne nous adonnons pas à leur éloge pour les rendre plus inimitables. Leurs convictions ne doivent pas être de simples idéaux pour nous ; leurs efforts ne doivent pas nous paraître surnaturels. Il est indécent de se mirer dans un modèle et de ne pas avoir les mêmes gestes que lui. Quand on connait la bonne voie, il est inacceptable de ne pas l’emprunter. C’est également la raison pour laquelle les bonnes idées politiques qu’on multiplie, mais qu’on concrétise rarement, ne doivent impressionner un esprit rigoureux. À notre courage de penser, il faut associer une force de réaliser. Les déclarations d’intention et les bonnes idées sont inutiles si elles ne sont pas mises en œuvre dans un souci de cohérence et du respect qu’on leur doit. Avoir une vision est donc nécessaire, de la même manière qu’elle est insuffisante. L’acte est le prolongement de la pensée et c’est bien par le premier qu’on peut mieux apprécier la valeur de la seconde.
Enfin, Jeunesse, pour tout engagement politique, armons de dévouement et d’endurance. Notre dévouement, nous ne le devons pas à un individu, mais à l’idée supérieure de la Nation pour laquelle on s’engage. Offrons-nous ainsi que tous nos efforts à notre Nation afin que celle-ci sache qu’elle n’a eu tort de nous avoir en son sein. Par ce généreux don de soi, nous sommes plus apaisés pour la servir. Le contraire de cette attitude, nous le savons, est déplorable, car l’intérêt personnel sait parfois rompre des engagements qui furent naguère si beaux. Le carriérisme est impropre en Politique et si c’est le prestige d’une fonction qui attire un esprit, celui-ci fera disparaître ce prestige. Le grand Homme politique est au-delà des querelles de positionnements et tout son mérite est dans sa constance à rendre un merveilleux service. À quoi bon d’occuper une fonction si on ne sait même pas de quoi il s’agit ? Les protocoles, les escortes, les décorations et tous les honneurs rattachés à un poste affolent les seuls pauvres esprits. Il a beau recevoir tous les honneurs de la République, l’Homme politique qui ne rend pas en retour de merveilleux services à son pays tombe dans le déshonneur. Sa réussite non plus n’est pas dans son enrichissement, mais dans sa décisive contribution à rendre ses compatriotes prospères. Le valeureux Homme politique doit avoir honte de son luxe quand presque tous ses administrés sont des mendiants. Le Politique, Jeunesse, est un serviteur. S’il cesse de l’être, il devient prédateur.
C’est d’être d’excellents serviteurs que nous devons apprendre et cela est une bataille de longue haleine. Cultivons-nous, corrigeons-nous et intéressons-nous à toutes les préoccupations de nos compatriotes sans jamais désespérer de notre mission. Aucune grandeur n’est fille de la facilité. Les doutes ne manqueront pas de nous assaillir, mais comme me l’enseigna Monsieur Boubacar Boris Diop, « il n’y a pas d’apprentissage sans anxiété ». Les contextes dans lesquels nous nous trouvons peuvent ne pas être favorables, mais refusons qu’ils nous déterminent. Nos conditions sociales et notre système éducatif au sol veulent compromettre notre avenir, mais chacun a en lui une force intérieure à laquelle recourir. N’est-ce pas, Comte de Gormas, « à force de vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ? Ces périls, mes chers amis, nous les dompterons au quotidien et à force de bien le faire, nous inciterons du monde à faire comme nous.
Conclusion