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  • Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

L'argent

Dernière mise à jour : 13 nov. 2023

Ces dernières semaines m'ont été pénibles. J'ai été directement confronté à l'argent. Je suis sommé d'en trouver pour financer mes études. D'emblée, la somme requise, peut-être insignifiante pour d'autres, m'a plongé dans le désarroi. Après tout, ne suis-je pas qu'un étudiant ; à qui, de surcroît, depuis le cocon familial aux rangs du Prytanée, il a été inculqué que la meilleure façon de ne pas affronter l'argent, et sans doute de ne pas perdre devant lui, est de ne pas entretenir trop de besoins ; de ne pas s'éloigner des besoins nécessaires ? Mon ignorance des grosses sommes n'est donc pas coupable ; d'autant plus que leur absence dans ma vie n'est pas parvenue à la rendre malheureuse. J'ai toujours été heureux de ma vie. Je suis heureux de vivre.


Les études, cependant, ne sont pas n'importe quel besoin. S'offrir des études n'a rien à voir avec l'acquisition, disons, d'une montre de luxe. La connaissance n'est pas une commodité ; d'où, à la première, je crois légitime de consacrer de l'argent, aussi considérable paraisse la somme. Grâce à ce que l'on apprend, on peut transformer des millions de sorts ; rectifier des milliards de pensées ; et éclairer l'Humanité. Évidemment, celui qui n'a pas foi aux études me trouvera naïf. Mais cela est-il pour moi une raison de ne pas croire en ce que je crois ? Non. Non. Et non.


Le besoin a donc valu que je recherche l'argent. J'ai décidé de le faire ; sans aucune idée sur comment m'y prendre. J'ai, néanmoins, nourri l'espoir d'y parvenir sans grandes complications ; me fiant à l'importance que Gouvernements, Fondations et Individus semblent accorder à l'Éducation à travers le monde et l'Engagement que j'ai mis dans la rédaction des dix-neuf courriers envoyés ; confiant que je ne manque pas de potentiel pour mériter leur soutien.


Bien que disposer des contacts de « ceux qui ont l'argent » soit extrêmement difficile (peut-être se rendent-ils inaccessibles pour échapper aux nombreuses sollicitations), l'exercice le plus délicat est demeuré la sélection de ceux à qui, parmi eux, j'allais écrire. L'origine de leurs fortunes, leurs réputations et leurs rapports avec l'Afrique ont été pour moi des critères majeurs. Car « l'argent n'a pas d'odeur » que pour les gens sans scrupules ; et n'est-ce pas dans le besoin que l'on doit plus savoir faire preuve de prudence, de retenue et de dignité ?


Dignité, voilà une vertu qu'il n'est pas aisé de protéger lorsqu'on est solliciteur. J'ai eu peur d'être un mendiant, donc j'ai soumis ma requête sans supplier, insister, ou faire croire à mes interlocuteurs que mon sort reposait entre leurs mains. J'ai eu peur de leur composer des louanges ; je me suis donc méfié des habituelles formules de politesse, des qualificatifs et de l'énumération inutile de titres. J'ai eu peur d'être un simple demandeur, j'ai donc proposé de rétribuer tout éventuel soutien en mettant mes compétences actuelles et celles que j'acquerrai au terme de ma formation à la disposition de mon sponsor pour une durée déterminée.


Ma sollicitation aurait-elle porté sur autre chose que l'argent que toutes ces précautions n'auraient pas été nécessaires. La grande capacité de l'argent à compromettre en est la raison. Suffit-il de recevoir la moindre somme de mains qu'il ne fallait pas, ou de s'incliner de quelques millimètres pour se la voir octroyer, que le mérite s'entache et que le remords soit certain qu'il succédera à la sollicitation. Je me méfie de l'argent parce que je le crains ; je le méprise parce que l'appétit qu'on a pour lui, l'inélégante vénération qu'on lui dédie, le font se prétendre tout.


L'argent, en effet, a acquis du pouvoir sur le monde, avec le lâche consentement des Hommes. Existe-t-il dans nos discussions un sujet plus sensible que lui ? On murmure presque quand on parle d'argent. On dit qu'il est précieux ; alors, on se cache même pour le compter. En avoir besoin comme en manquer peuvent tous deux nous faire perdre notre sang-froid, nous faire perdre la tête: des Hommes changent de comportement dès qu'ils ont de l'argent ; des fratries se déchirent pour des modiques capitaux ; d'autres émiettent et jettent leurs principes de toujours pour devenir prospères. Une fois prospères, ils acquièrent une nouvelle ambition: devenir plus prospères. Et chez les gens ordinaires, ceux qui n'en ont peu ni trop, l'argent exerce son hégémonie par le désir qu'il suscite, ou par l'angoisse qu'ils ont d'en manquer. C'est en leur sein que l'avarice fait plus de victimes. Avoir peur de se retrouver en manque d'argent, peur légitime, croît en une défense de dépenser ; de partager. Partage devenu presque impossible, chez les nantis aussi bien que les démunis, dès lors qu'on veut d'abord satisfaire tous nos besoins avant de songer à l'Autre.


De moyen nécessaire, l'aveuglant argent est devenu moyen déterminant. Il a la prétention de défaire ou valider les ambitions des Hommes, de les classer en vulgaires et privilégiés, de fabriquer des tout-puissants et des tout-petits, de tuer les Uns et d'accorder longévité aux autres, parce qu'il sait qu'il domine nos cœurs ; que nos instincts lui reconnaissent sa suprématie et obéiront aux commandements qu'il leur inspirera. On dit de lui que rien ne lui résiste, même les convictions des Hommes ; alors, dans une effrénée course, on s'en va en chercher, usant parfois d'abjects moyens. Gare à ceux qui ne vont pas en trouver, car on voudrait nous faire croire, ce qui ne sera jamais vrai, qu'ils ne sont rien dans ce monde ; que leur manque d'argent leur prive de leur statut d'Homme. Gare à ceux qui n'en trouveront pas suffisamment, car leurs noms, ô épouvantable calamité, ne figureront pas dans le classement Forbes des fortunes puissantes ; classement réjouissant pour les récipiendaires, mais dont l'existence même, dans un monde où le grand nombre survit dans la pénurie, rend inquiétant et sans pudeur.


J'ai, pour ma part, une ambition plus grande qu'être riche : être au service des Hommes. Si servir les Hommes nécessite que je sois riche, alors, je veux bien avoir de l'argent ; pas de cet argent qui remplit les poches ou qu'on amasse dans les comptes, mais de cet argent qui passera dans les mains des Hommes aussitôt qu'il tombera dans les miennes.



Photo de couverture : © CSA-Images

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