J’ai souffert ces derniers mois. Dans ma chair, mon esprit et ma foi. Plusieurs fois, la nuit, je me suis levé méditer sur mon tapis le sort de notre Pays. Plus la répression s’intensifiait, la cruauté devenait vulgaire ; moins je reconnaissais mes Compatriotes, faisais confiance à notre dignité.
Dans notre Pays, le président sortant, élu par notre Peuple, a pu faire enfermer 1 800 personnes, dans des prisons exigües, indignes de n’importe quel être humain. Être détenu sans être au courant de ce qui vous est reproché. Être détenu parce que l’on a manifesté. Être détenu avec toute sa famille, du doyen de 76 ans, Atab Bodian, aux deux nourrissons (Awa Coly, 10 mois ; Cheikh Atab Coly, 2 ans).
Des témoignages de viols et de présence de mineurs dans les prisons d’adultes. Des manifestants torturés par les forces de l’ordre, sous le regard de tous. Un épileptique, Ousmane Dia, 25 ans, à qui on refuse les soins et qui meurt d’une énième crise dans sa cellule. Moins d’un mois avant son arrestation, à la cuisse gauche, il était atteint par balle lors d’une manifestation.
Le pire s’est passé chez nous, dans une juxtaposition d’évènements propres aux films d’horreur mal écrits. Côte à côte, nervis et forces de l’ordre ont ouvert le feu sur des Citoyens. Sous les applaudissements de la majorité présidentielle, accusant des Sénégalais comme eux d’être des terroristes. Des intégristes. Des islamistes. Des fascistes. Des sécessionnistes.
Comment des mots aussi violents ont pu intégrer le discours au Sénégal, être employés contre un membre de sa famille, son voisin, son collègue, son opposant ? Cette question seule aurait mérité de nous préoccuper pour la prochaine décennie, s’il n’y avait pas plus de 50 morts frappant à la porte de notre conscience nationale. Leur sang chaud brûle notre drapeau.
Bourama Sané, 12 ans : yal na sa tur sax Binjonaa. Baye Cheikh Diop, 17 ans : bëgg-ceeb, mbaa dog nga sa Koor ga ? Prosper Clédor Senghor, 22 ans : Saanaar ba Kabrus, noo ngi lay jooy. Moussa Dramé, 35 ans : ana jaaykat bay góor-góorlu Ndakaaru sàkku lu mu yóbbu Ndóofaan ?
Leur nombre exact, leurs noms, leurs combats, défient notre mémoire collective habituée à passer à autre chose. Jeter les Martyrs sous le tapis. Broyer la cola de réconciliation avec des dents tachées de sang. Des dents qui sourient. Comme si une blessure, celle de la perte d’un être cher, se refermait aussi facilement qu’on tourne une page.
Nos Compatriotes sont morts à cause de l’inconséquence d’un homme, d’un clan, qui a mobilisé nos ressources publiques pour nous assujettir. Nous sommes devenus un Pays médiocre dans notre façon d’être. De penser. De sentir. D’interagir. Nous ne sommes pas seulement tombés, à l’échelle de la planète, parmi les 25 Pays avec le plus faible indice de développement humain. Nous sommes devenus un Pays triste, qui a découvert et subi sa propre laideur.
Que le président sortant parte en paix. Il n’a pas mon merci.
Derrière lui, il laisse un champ de ruines. Des défis majeurs que symbolisent nos Jeunes qui fuient notre Pays par les voies de l’émigration, au risque de leurs vies. Quelle dignité reste-t-il à un Pays quand ses Citoyens en arrivent à cette extrémité ? Les cadavres des nôtres crachés par la mer sur nos côtes, ramenés dans les Cargots, ou perdus à jamais, doivent hanter nos nuits. Nous sortir de l’indifférence. De la légèreté. De la récupération.
Je hais l’expression « jeu politique », car sur Terre, il n’y aucune activité plus sérieuse que la politique. C’est une question de vie ou de mort. De dignité ou d’affront. Notre rapport à elle détermine notre sort. Qu’on en fasse une course aux plus grands menteurs, une foire aux reniements, aux applaudissements, aux alliances frivoles, un festin entre copains, une affaire de cour : et nous goûterons de nouveau à l’enfer.
La politique doit nous faire sortir de notre mendicité permanente. Nous devons briser la misère. L’argent public volé, gaspillé, engendre tous les dérèglements. Les « cas sociaux », les appels aux dons, les Téléthons, les humiliations à l’international, sont les signes visibles d’une organisation défectueuse, d’un Pays moribond.
Évidemment, il faut un Homme, une équipe, à l’intégrité irréprochable pour conduire un Pays avec brio. L’intérêt général est méconnu des vieux et petits esprits habitués au paacoo, au toŋ-toŋ, aux prébendes. Les sacs de riz, les bidons d’huile, les liasses distribuées à la foule en transe disent une chose : nous avons affaire à des voleurs ou des incompétents pensant que l’argent est un argument. Des individus sans respect pour leurs Concitoyens, pris pour des moutons assortis de prix. Des fabricants de misère.
Aussi, c’est aux Jeunes qu’il revient de conduire la destinée d’un Pays. Ndaw mooy tabax Réew. Ndax ndaw la Yàlla dénk kàttan. Le droit d’aînesse dévoyé sous nos cieux, nous nous retrouvons avec des dinosaures inamovibles, prédateurs, discréditant tout esprit dissident à coups de « manque d’expérience ». Comme si leur expérience de rentiers ou de dealers les rendait exemplaires ? Quel esprit normalement constitué veut avoir l’expérience d’un vieux voleur de deniers publics ? Je préfère mourir jeune plutôt que de devenir un vieux truand.
Ceux du troisième âge qui se respectent dans notre Pays savent que leur grandeur se trouve dans l’accompagnement des Jeunes et la transmission des bonnes valeurs : non dans l’accaparement des biens symboliques et matériels de notre Nation. Ils se soucient du sort des moins de 19 ans, représentant la moitié de notre Population. Ils œuvrent pour une belle fin, car quelle honte de se présenter devant Dieu en laissant derrière soi une famille ou un Pays démunis !
Enfin, l’effort constitue pour moi un critère ultime de distinction. La disposition (et la capacité) d’une personne à produire beaucoup de sacrifices au profit de la Nation est essentielle. Tout comme sa détermination dans la quête de notre suffrage. L’honnêteté voudrait que chacun le reconnaisse, en toute humilité : si nous allons en élection demain, sans la participation frauduleuse du président sortant, nous le devons en grande partie à Pastef.
Je refuse d’accorder le mérite de celui qui se bat en première ligne, affrontant la prison, les blessures et les deuils à celui qui découvre l’autoritarisme du président sortant à la 25ème heure. L’esprit de facilité, de raccourcis, de combines, est le marqueur des dirigeants qui ne seront jamais grands. Celui qui ne travaille pas n’a droit à rien.
Pour ces raisons, j’espère que le Sénégal fera de Bassirou Diomaye Diakhar Faye son 5ème président.
Une tâche incommensurable, éprouvante, l’attend. Mais, que ne peut réussir un Homme déterminé à servir son Pays ? Qu’il vienne et fasse tout son possible : c’est ce que la République lui demande. Et la meilleure façon pour notre Nation de lui venir en aide dans sa mission, c’est d’être vigilante et exigeante envers lui. En tout temps. En tous lieux. En toutes circonstances.
Tout est difficile en politique, quand on s’y prend sérieusement. Mais le travail le plus compliqué commence au lendemain de la victoire. Vivement la victoire.
Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye est l’auteur du blog Assumer l’Afrique. Né à Diourbel, cœur du Sénégal, il a vécu sept ans au Burkina Faso, au Prytanée Militaire de Kadiogo. Écrivain à temps partiel, amant attitré de la poésie (auteur d’une dizaine de recueils), il écrit en wolof, français et anglais.
Il est titulaire de quatre masters en droit (Sciences Po Paris, Panthéon-Assas), en communication (Paris-Saclay) et en gestion publique (ENA — Paris-Dauphine). Pour en savoir plus sur l’auteur.
Photo de couverture : © Silya Ferrat
Sublime!