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  • Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Le sort de la honte en Afrique

Dernière mise à jour : 17 sept.

Un soir, le Mali trébucha : un putsch. L’État se morcela : une sécession s’arma puis se proclama. L’Afrique on apostropha, qui grouilla sans dire me voilà.

L’attente fut longue, sans épuiser mes poches d’espoir. Je guettai fébrilement le renfort quand les exactions nous narguèrent. Il finit par arriver… de la France ; envers qui je me sentis subitement redevable. Je partageai à quelques égards l’enthousiasme des foules maliennes arrosant le débarquement des ses Troupes ; essayai de tempérer ma répulsion des élans messianiques ; et enfin n’éconduis que difficilement l’idée d’un remerciement qui germait dans mon esprit. Je me vis en effet partagé entre le soupir de voir le calvaire des Frères maliens abrégé et la défaillance de nos Leaders qui font sens à la « plus grande victoire politique » de François Hollande. On orienta, chez eux, le propos vers l' aspect premier qui réveilla le scrupule de congratuler Monsieur Hollande sans complexe : cela relèverait de l’honnêteté. Une honnêteté qui, si elle a bricolé la morale selon laquelle il n’y a aucun mal à recevoir de l’aide — surtout venant d’un pays dont serait si intimement liés —, a esquivé le second fait qui n’est pas pourtant pas moins évocateur.

C’est lui qui me tarauda : comment en sommes-nous arrivés à éprouver une quelconque réjouissance dans une telle victoire ? Il m’a été donné de parvenir à une réponse : la déchéance. Laquelle je m’appliquerai à analyser sur la considération des mutations de la honte bien à l’image de la maturité de nos États.

Tout a visiblement commencé avec un patrimoine historique consensuel — lequel toutefois n’est pas une exclusivité africaine. Notre mémoire des guerres coloniales particulièrement nous apprend à dépasser l’aboutissement de ces dernières pour pouvoir les apprécier à leur juste valeur. Ce que notre génération sait faire et a peut-être trop compris pour à ce jour assimiler le courage de résister à la fierté du triomphe. À l’égard de ceux qui ont livré ces combats, on formule des louanges qui, j’ose le croire, ne les feraient pas bomber le torse. Car en vérité, chez ceux d’entre eux qui ont été façonnés avec de la bonne argile (1), connoter la victoire est incommodant. Les consacrer sur cette base les désarmerait.

Entendons-nous :

Qu’ils eussent été battus ou pas, il y’ a en tout cas de quoi être fiers d’eux et par là les célébrer (2). Je m’y souscris… tant que ces hommages ne deviennent pas la propagande de l’exploit le plus méritant. L’empathie que nous vouons à l’auteur de ce qui n’est pas tout à fait une victoire est justement attenante au risque de tolérer, voire intégrer, l’échec (3). Un risque qu’il me semble s’est produit dans l’Afrique d’aujourd’hui en considération du parrainage auquel nos États ont recours.

Après la Françafrique — terme admis que tardivement à l’usage officiel —, de Partenariat de la lucidité on parle. Apparemment, c’est une situation où l’ingérence a été apprivoisée : une petite dose de mesure dans le propos nordiste ; un petit détour aux Nations-Unies pour s’arracher la vignette d’atterrir dans les Pays belliqueux où on fait déguerpir les Gouvernements mauvais élèves ; enfin de l’aide qu’on peut solliciter et accorder dans le silence des protocoles.

C’est ce parrainage-là qui est aujourd’hui le pain de notre Afrique émancipée, souveraine et compétitrice. C’est celle-là même. Il est mené et applaudi et de nos Gouvernements, acquiescé de nos classes politiques, passé sous silence par une considérable partie de nos Intellectuels et trouve en nos Populations le bon réceptacle.

On omet hélas que la raison d’être de la domination est son ambition elle-même ; qui est de loger des Hommes dans un monde de pacotille. Brutalement ou doucereusement, mais toujours avec le même cynisme. Elle s’achève quand les pensionnaires s’emploient à investir ce monde d’un bonheur quelconque. En plus du fait que l’accommodation en question est à l’œuvre d’une grande ruine, incontestablement la plus grande, il y’a aussi que les auteurs de ce monde démuni cessent d’être les soutiens du chaos, de qui d’ailleurs ils s’éloignent autant que faire se peut. Précaution exige. Les Hommes qui s’emploient à aménager quelque chose sous ce régime et se persuadent d’être sur la prometteuse voie en sont en effet ceux qui demeurent la base cruciale de la domination en question.

Voilà à quelle dynamique nous livre le néocolonialisme, pas moins inconfortable que colonisation et esclavage, dont la définition s’esquisse dans ma tête : c’est un nouvel espace de domination dans lequel la conviction d’une mort de celle-ci se délite par une succession de réajustements — de la part de nos nombreux États africains — qualifiés raisonnables. Les contours de ce nouvel ordre sont la résignation qu’on met sur le compte de la conjecture, laquelle à vrai dire n’a jamais concerné nos États. Ainsi se succèdent la complaisance, la banalisation et la caution de l’assistanat qui sait faire taire plus subtilement que nulle autre agression. Car je le pense aussi, le pauvre qui craint le soleil craint (craindra) son bienfaiteur (4).

Les 06 et 07 décembre derniers, la hardiesse n’aurait peut-être pas suffi pour aller dire aux vingt-cinq Présidents, douze Premiers Ministres et quatorze Ministres des Affaires Etrangères ainsi qu’aux dix-sept Premières dames africains, dans les salons de l’Élysée ou du Musée d’Orsay, que l’image qu’ils offraient repoussait les limites de la consternation. Et qu’ils auraient dû se la défendre ne serait-ce que pour le plaisir des…yeux. Là imaginé-je déjà l’inconvenance du blasphémateur réprimée jusqu’ à la dernière goutte d’énergie. La foutrait-on au cachot afin de lui faire apprendre que l’intelligence du néocolonialisme, qui est aussi son originalité, est de toujours trouver un prête-nom à la honte. D’où aussi sa toute nocivité.


Le passage du statut de l’aide (sous toutes ses formes) d’instrument en institution a à la fois le mérite et le malheur de formaliser la realpolitik. Nos États qui reçoivent l’aide songent à revenir la solliciter et leurs créanciers, scrupuleux, ne claironnent jamais la contrepartie. Aussi savons-nous que les puissances voient uniformément l’Afrique en opportunité. Rien de plus : les affiliations d’un Barack Obama qui a, lui aussi, convoqué à son sommet USA-Afrique pour ces 05 et 06 août ; l’amitié immémoriale ayant cimenté le Commonwealth et le partenariat de la lucidité ou encore la déontologie coopérative sino-africaine sont toutes une menterie.


Ce qui n’est pas une information dans la société internationale néocoloniale ; ni blâmable. Ils ont le droit de ne songer qu’à leurs intérêts. Et nous aussi avons le droit, que dis-je, le devoir, de refuser d’être le marchepied. En ce sens, il ne me dérangerait pas de répéter que les conditions d’un mieux-être sont toujours endogènes. C’est à l’Afrique, à l’Afrique seule, de se les créer. D’où la nécessité d’avoir honte des communes bousculades à l’Élysée ou à la White House, des supplications au bout des téléphones, pour enfin apprendre à être des pairs entre nous États africains et devant les autres. Tout effort fourni au mépris de cette alternative ne fera que reporter la fin de nos frustrations. La logique de notre Humanité m’autorise cette prophétie.


La honte que j’exige de l’Afrique est vitale. Lorsqu'on ne l’a pas, on est anesthésiés. Elle peut être approchée par l’indignation, qui n’est pas le sanctuaire propre aux misérables. La condition qui ne nous serine pas la honte, ne nous indigne, est promue à l’éternité, peu importe notre statut. Et je ne souhaite à personne d’avoir à méditer pour décider d'un merci. Un merci plutôt d’impuissance que de convenance. C’est presque suicidaire que de se sentir redevable. L’être, je n’en parle même pas.


Je vous en conjure et me le défends : ne muselons pas la honte en Afrique.


(1) Faisons allusion au Roi Djigui Keïta (dans “Monné, outrages et défis” d’Ahmadou Kourouma) qui a fini par perdre le sens du monné à force de reculades.


(2) Je promets de revenir sur ce point pour donner suite à une discussion qu’il m’a été donné l’honneur d’avoir avec mes amis Mouhammad M. Fall et Fatou N. Ndiaye.

(3) Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est prôner le culte de la médiocrité.

(4) Nous tenons cette maxime de Masséni, petit-fils du philosophe sénégalais Birima Makhourédia Demba Kholé Fall (1586-1655) plus connu sous le nom Kocc Barma.



Photo de couverture : © gaborfejes

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