Les nourrissons sont effrayants. Remuants comme des vers. Quand nos regards se posent sur les leurs, ils font mine de nous voir. Je ne supporte pas ce regard, lequel est beau pourtant : il ne porte aucune ride, aucune tache et est très harmonieux. Si je ne l’aime pas, c’est parce qu’il est indicible.
Je ne suis pas aussi enclin à m’adresser à leurs mères. L’idée que ces bouts de corps sortent des leurs n’est pas moins agaçante. Je me demande ce qu’elles doivent ressentir. Quelques heures auparavant, elles avaient le ventre en mont. Puis le voici brusquement moins exubérant, vidé de ce qui le rendait ainsi. Ce qui est étrange, c’est que le ventre de la femme enceinte a beau être gigantesque, l’enfant qui en sort déçoit toujours de par sa taille. Comme si le fait de sortir le nez les déprimait déjà, les étouffait : ils ont besoin pour respirer de beaucoup d’efforts : juste au-dessus du front, il y a cette parcelle de la tête qui rentre et ressort au rythme de chaque inspiration et expiration. De quoi me convaincre que la vie est bel et bien dans ces corps.
Au bout de quelques temps, les nourrissons sont ennuyeux. Leurs bouches minuscules n’en ont pas moins des voix aiguës et perforantes. Quand ils pleurent, mon Dieu ! ils sont presque sataniques. Tout en eux boue, se déchaine et veut exploser. Comme s’ils étaient arrosés de braises. On ne sait pas parfois les raisons d’un tel état, ou comment le calmer. Certaines mères dès lors tourmentées, accompagnent de leurs larmes celles de l’enfant, les contemplant avec impuissance. D’autres debout serrent ce bout de corps, et multiplient les tentatives d’autant plus que l’enfant s’acharne de pleurer. Ces dernières y parviennent finalement, l’enfant tombant dans le sommeil sans avertir. On souffre dans tous les cas quand on est mère.
Les jours, les mois, passant, les nourrissons deviennent des bébés. Leurs membres ont grandi. Leur attention s’éveille ; les mouvements et les humeurs plus lisibles. Ils continuent à pleurer. Mais on peut désormais les mettre sur l’épaule, les serrer plus fort, les jeter jusqu’au plafond et rattraper leur sourire panaché de peur. Le sourire agréable des bébés. Il tombe généralement quand nous l’attendons le moins. Le sourire qui vous redonne le vôtre et vous arrache quelques moments du quotidien assommant avec son lot d’angoisses. Le sourire qui finira par révéler le sens réel desdites angoisses. Elles se font vivre pour nous donner l’opportunité d’aller chercher notre droit au sourire, de sourire.
Le devoir de chaque parent est de préserver ce sourire sur le visage de sa maisonnée et en tant qu’adulte, sur le sien. Ce sourire du bébé n’est pas instinctif, de l’innocence, de la joie de vivre : mais un signe de vie, un courage de vie, un projet de vie. S’il se perd, il manquera à notre vie un moteur. La quête seule de ce sourire est digne qu’on se batte, qu’on se prive, qu’on endure. Si ce sourire exige qu’on lui consacre tout notre temps, donnons-le-lui, car la seconde qu’il durera, je vous l’ai dit, est le seul moment de la vie où le bonheur découvre son visage.
Une mère, 2014 le fut. Tel un nourrisson, 2015 se comportera. On ne voit pas quoi il sera fait. L’année passée ne nous semble pas pleinement remplie. On espère que celle-ci l’achèvera, laquelle est aussi chargée de ses propres attentes et résolutions. On veut que 2015 soit parfait. Il peut l’être. À condition que nous sachions qu’il ne sera pas fait que de facilités ; qu’il éprouvera notre détermination et que son sourire reviendra à ceux qui seront allés jusqu’au bout de leurs efforts.
Mes vœux à vous seront donc deux. Restons d’abord en vie. Soyons ensuite résolus à faire partie de ceux qui entreront dans le droit de sourire.
Photo de couverture : © btchurch
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