Je déteste les coups d’État.
Ils sont porteurs de problèmes dans tous les cas : de problèmes dont ils sont la source, ou de problèmes dont ils sont le dénouement naturel ; et symboles d’un échec : d’un échec qui débute, ou d’un échec qui prend fin, à défaut de se poursuivre.
La tentation est grande de les condamner indifféremment. Une telle démarche, qui se refuse de prendre en compte tout élément de contextualisation, me semble maladroite. Aussi regrettables qu’ils soient, certains coups d’État sont inéluctables et, peut-être, nécessaires.
Le Mali vit dans la tourmente depuis 2011. Pris en otage par la bande du capitaine Sanogo, qui n’a pu préserver son intégrité territoriale face aux terroristes, il a été confié au pouvoir de transition dirigé par Dioncounda Traoré, avant que ne soit élu en 2013 le président Ibrahim Boubacar Keïta dont la démission est demandée depuis avril 2019.
Les griefs contre le régime du président Keïta sont sérieux et nombreux : faible performance dans la gestion sécuritaire (où les attaques terroristes restent fortes, où plus de la moitié du territoire est sous le contrôle des forces rebelles, où au moins 1940 civils et 810 soldats maliens ont perdu la vie janvier entre 2012 et mai 2019, où le leader de l’opposition, Soumaïla Cissé, s’est fait enlever quatre jours avant les Législatives…) ; mauvaise gouvernance financière (avec plus de 153 milliards de francs CFA détournés entre 2013 et 2014, d’après le vérificateur général) ; hold-up électoral (avec un contentieux né des Législatives après que la Cour constitutionnelle a invalidé des résultats et favorisé l’élection de candidats proches du président) ; tentative de modifier la Constitution (en 2017, puis en 2019, jugée inopportune et devant ouvrir la voie à un troisième mandat) ; népotisme (avec son fils, Karim Keïta, accusé d’être, de fait, le vice-président du Pays) ; sujétion à la France (dont la présence de ses 5100 soldats au Sahel est de plus en plus insupportable).
Ayant haussé le ton face au mouvement M5-RFP avant de se dire ouvert au dialogue, le gouvernement a répondu à la colère des Maliens par une forte répression ayant coûté la vie à 23 citoyens entre les 10 et 12 juillet derniers. La formation, le 27 juillet 2020, d’un gouvernement réduit à six ministres, en attendant la formation d’un gouvernement d’union nationale (au succès très incertain), ainsi que l’invitation (déclinée) d’Ibrahima Boubacar Keïta au M5-RFP de venir le rencontrer, n’auront pas fait baisser la tension.
IBK est resté dans son refus de démissionner. La rue a continué de demander son départ. La Cédéao, animée par des présidents voyant leur propre sort politique se jouer à travers celui d’IBK, n’a pas, quant à elle, été une médiatrice extraordinaire. Jusqu’à ce que l’armée signe son entrée dans la crise ce matin du 18 août 2020. Des tirs ont été entendus. Des pick-up militaires foncent de Kati vers Bamako, où la Population a commencé à se rassembler à la Place de l’Indépendance.
Après un mutisme de plusieurs heures, le gouvernement, dans un sursaut désespéré, engage la bataille de communication. Il tente de minimiser les évènements et parle de simples « mutineries », « entre militaires », provoquées par « un haut gradé en colère, limogé la veille ». Il est soutenu dans son effort par la Cédéao qui dit « rappeler sa ferme opposition à tout changement politique anticonstitutionnel » et les ambassades occidentales, qui ont déjà recommandé à leurs ressortissants au Mali de rester chez eux.
Aux environs de 16h30, le président et le Premier ministre Boubou Cissé sont mis aux arrêts. Plus tôt dans la matinée, le président de l’Assemblée nationale, les ministres de la Défense, des Affaires étrangères, des Finances, l’étaient déjà. La « mutinerie » était-elle finalement une tentative de coup d’État ? Cette tentative aura-t-elle abouti ?
Une réponse affirmative à ces questions crée une certaine inquiétude (toutefois fondée), et non de la surprise. Les coups d’État ne sont pas inconnus du Mali (qui en est à son quatrième) et de l’Afrique (qui en a connu au moins 100 de 1963 à nos jours). De grands efforts ont été fournis ces dernières années pour les faire disparaître de notre paysage politique, tous y étant exhortés par les souvenirs généralement désastreux des régimes militaires.
Seulement, les pouvoirs civils appelés en remplacement des militaires sont demeurés dans des turpitudes similaires, se livrant aux manipulations constitutionnelles et à la fraude électorale ; là où les hommes de tenue exécutaient, emprisonnaient ou faisaient s’exiler les opposants. Ils sont nombreux à se comporter, parce qu’ils sont élus, comme des intouchables : l’élection signifiant pour eux intronisation.
Ils réduisent ainsi la démocratie à la simple organisation d’élections, qu’ils gagnent presque toujours, avant de retourner s’endormir… en attendant la prochaine élection, à laquelle ils participent grâce à des Constitutions sur-mesure. Ils ne se sentent comptables de rien devant leurs populations et s’énervent lorsqu’on leur demande leurs réalisations durant leurs précédents mandats.
Leur oubli qu’ils ont été élus pour satisfaire des espoirs nationaux, être aux soins de leurs populations, préserver leur dignité, les rend insensibles aux droits, aux besoins, à la condition, aux frustrations, aux plaintes, aux souffrances, à la colère des leurs. Ils ne savent agir que pour gagner des élections, et entre les élections, au moment où le peuple continue de souffrir, ces élus passent leur temps à recevoir les honneurs et à entretenir leurs gros ventres.
Lorsque leur inertie, leur laxisme, devient insupportable ; lorsque leurs erreurs, leurs errances, deviennent impardonnables ; et qu’il leur est demandé de se retirer, ces élus recourent à la Constitution, qu’ils sont les derniers à respecter. Se disant « démocratiquement élus », ils refusent de démissionner ; comme si la démission était contraire à l’ordre républicain et comme si un mandat électoral était pourvoyeur d’une immunité absolue.
Leur obstination à rester face aux mobilisations monstres demandant leur départ, et voulant en découdre avec le statu quo, mène au point mort. L’arrivée de l’armée venue déloger le président désavoué est presque un soulagement : l’ordre constitutionnel perd la primauté s’il est détourné, par un pouvoir élu, de son objectif de servir l’intérêt supérieur de la nation. Et la légitimité d’un homme d’État ne vient pas seulement de son mandat électoral, mais aussi de l’usage fait du mandat qui lui est confié.
IBK, comme bon nombre de ses homologues de la Cédéao, n’a pas su convaincre ses compatriotes qu’il était à leur service, qu’il leur était utile. En charge d’un pays dont l’existence même est menacée, il aura laissé l’impression d’un chef d’État faible, éloigné de leurs préoccupations et à la solde de la France. Son manque de légitimité post-électorale en a fait une cible vulnérable, qui n’a su compter sur le soutien populaire pour contrer les exigences de ses adversaires. Après des demandes de réformes, c’est son départ qui était imposé. Et tout laisse croire qu’il aurait fini par céder, même sans l’intervention militaire, face à cette majorité de citoyens qui ne se reconnaissaient plus dans leur président.
IBK parti, les Maliens savent qu’ils devront doubler de vigilance pour ne pas laisser les officiers confisquer leur pouvoir, trahir leurs aspirations, annihiler leurs efforts. Ils devront les faire rejoindre les casernes en s’assurant que les prochains élus les aideront à combattre les coups d’État : en se montrant soucieux de leurs populations et en travaillant sérieusement après leur élection.
Photo de couverture : © Présidence du Mali
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