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Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Instrumentalisation de la Justice au Sénégal

Dernière mise à jour : 8 nov. 2023

Le détournement des ressources publiques fonde la faiblesse d'un État, surtout quand elles sont d'emblée en quantité insuffisante. Le Citoyen qui, par le biais de ses responsabilités administratives ou politiques, s'adonne à cette pratique mérite tout notre mépris. Il n'est point exagéré de le qualifier de gourmand criminel. Comment peut-on seulement arriver à piller sa propre Nation, alors qu'elle rémunère déjà notre travail ? Comment a-t-on seulement pu confier des responsabilités à un pareil Citoyen qui ne pourra jamais servir de bon exemple ? Et comment ce dernier ose-t-il prétendre accomplir correctement son travail quand on pense qu'à cause de son détournement, notre Pays a probablement été privé d'un hôpital de plus, d'une école de plus, d'une route de plus ? Le coupable d'un détournement de deniers publics, comme tout voleur, a sa place en prison.


Logiquement, il ne doit donc indigner personne qu'un présumé coupable de détournement de deniers publics soit mis sous mandat de dépôt, même s'il s'agit du Maire de Dakar, Monsieur Khalifa Sall.


Cependant, l'indignation se soulève inévitablement quand on est devant le constat flagrant que ce n'est point un souci de Justice qui a été à l'origine de l'ouverture d'une information judiciaire contre l'édile de Dakar et que certains Magistrats ont beau le réfuter, la Justice actuelle dans notre Pays semble bien être à la solde de l'Exécutif (qui a Monsieur Macky Sall à sa tête, dont le patrimoine officiel est estimé au montant suspect de 1,3 milliard F CFA (1) et de la Coalition majoritaire au Pouvoir, Benno Bokk Yakaar.


Je soutiens que ce dossier judiciaire contre Monsieur Khalifa Sall n'a pas la vocation de rétablir la Justice dans notre Pays, car je fini par me rendre à l'évidence que, sous ce régime, la Justice est un mot bien circonstanciel, un hypocrite idéal, un leurre. Elle est à la fois une Justice de sélection et d'exception.


Justice de sélection, parce que pour la même faute visée, deux personnes sont traitées différemment : l'une sera poursuivie et inculpée, tandis que l'autre, paisiblement, sommeillera dans son salon ou sa voiture climatisée. Et cette différence dans le traitement vient visiblement du simple fait qu'on a prêté allégeance ou non au nouveau régime. À ce jour, je peine à trouver l'exemple d'un seul ancien Responsable du Parti Démocratique Sénégalais ou d'une autre formation qui, après avoir rejoint les rangs de la mouvance présidentielle (2), a été écroué dans des affaires judiciaires. Il ne fait plus aucun doute que rejoindre le parti du Président fait entrer dans un état de grâce; confère au plus une intouchabilité (à l'image des gouvernants actuels dont le Peuple est invité à ne pas trop s'interroger sur leur enrichissement subit et en cours) ou moins, des non-lieux « miraculeux ».


Le sort réservé à l'ancienne Ministre de la Famille, Madame Awa Ndiaye (3), est ici des plus significatifs : inculpée pour détournement de deniers publics d'un montant de 1 338 247 290 F CFA — par le biais de cuillères (37 500 F CFA, hors TVA), couteaux (42 000 F CFA, hors TVA) et clés USB d'un giga (97 500 F CFA, hors TVA) surfacturés —, elle a, après s'être fait marron, bénéficié d'un surprenant non-lieu pour « failles dans le rapport d'audit réalisé en 2008 par l'Autorité de Régulation des Marchés Publics », avant de devenir, depuis Février 2016, Présidente de la Commission des Données Personnelles grâce à un Président Macky Sall ayant déjà fait, publiquement et maladroitement, l'apologie de la transhumance politique : « Pourquoi ne devrais-je pas recevoir les gens du PDS ou d'un autre parti qui veulent intégrer l' APR ? Je n'ai aucun problème à les recevoir. La transhumance est un terme péjoratif, qui ne devait jamais être utilisé en politique, parce qu'elle est réservée au bétail qui quitte des prairies moins fournies pour aller vers des prairies plus fournies. Selon les saisons, le bétail a besoin de se mouvoir. » N'est-ce pas le candidat Macky Sall qui, en 2012, sermonnait ainsi : « Les gens qui viennent après la victoire (...) Il faut mettre de l'éthique dans tout ca. Que les gens reviennent aux valeurs. » ? En tout cas, tout porte à croire que parmi les dossiers judiciaires sur lesquels le Président avoue fièrement avoir mis la main figurent ceux de transhumants : « Vous serez surpris, disait-il à Jeune Afrique, en août 2014 en marge du premier sommet Afrique / États-Unis, par le nombre de dossiers auxquels je n'ai pas donné suite. »


Justice d'exception également, car, les Sénégalais, après avoir été harcelés, pendant de longs mois, lors d'une campagne visant à établir la culpabilité de Monsieur Karim Wade, ancien Ministre et fils de l'ancien Président Abdoulaye Wade, alors initialement accusé d'avoir détourné 694 milliards de F CFA, ont appris la soudaine et silencieuse décision de sa libération. N'est-ce pas dire qu'au Sénégal, les personnes qu'une décision de Justice a, à tort ou à raison, déclarées coupables de détournement de plusieurs milliards de deniers publics, méritent plus la grâce présidentielle que nos auteurs de peccadilles ? Par ailleurs, même en prison, les conditions dans lesquelles elles sont détenues n'ont rien à voir avec celles dans lesquelles se retrouve la masse anonyme de leurs codétenus. C'est à croire que les privilèges sont un droit naturel n'ayant rien d'anormal.


Et deux situations, l'une plus troublante que l'autre, aggravent le mauvais emploi qui est actuellement fait de la Justice au Sénégal.


La première concerne la réaction inappropriée du Procureur S. Bassirou Gueye qui, devant des Sénégalais manifestant de plus en plus leur manque de confiance à la Justice ne s'est pas contenté de leur faire un compte rendu des dossiers en cours, mais a plutôt cherché à les intimider par des menaces décevantes. Malgré tout le respect que l'on doit aux Juges, et aux autres Fonctionnaires, leur travail ne devra et ne pourra jamais se dérober aux analyses et commentaires des Citoyens; condition essentielle pour que les Juges soient plus minutieux dans l'exécution de leur mission. Parce que si, par la force de la loi, ils arrivent à imposer le silence sur leur travail, je crois que la qualité de celui-ci sera peu exigeante, donc moindre. Et ce n'est pas par les menaces que les Justiciables Sénégalais, souverainement et sereinement, pourront avoir confiance aux Fonctionnaires de la Justice. À ces derniers, de par leur comportement, de par leurs décisions, de par leur esprit d'indépendance et d'initiative, de prouver aux Sénégalais qu'ils sont dignes de leur confiance.


La seconde triste réalité concerne l'atmosphère de la scène politique Sénégalaise où non seulement les préoccupations des Populations semblent absentes dans les discours en cours, mais où la parole publique est en voie d'être confisquée, monopolisée...comme si nous étions subitement tombés dans un régime autoritaire, à concurrence nulle. Un fait fort étrange est que, pour des chefs d'accusation divers, un nombre considérable d'acteurs politiques, membres du Parti Démocratique Sénégalais (Mde Aïda Dongue, M. Bara Gaye, M. Toussaint Manga et Cie, M. El Hadji Amadou Sall, M. Omar Sarr, M. Samuel Sarr, M. Karim Wade), rebelles de la Coalition majoritaire — M. Barthélemy Dias (feuilleton politico-judiciaires des plus déplorables, où on a semblé oublié qu'un Ndiaga DIOUF avait perdu la vie), M. Bamba Fall et Cie —, ou potentiels candidats à la Présidentielle (M. Khalifa Sall), sont déjà passés en prison au cours de ce mandat; ou ont, au moins, un démêlé avec la Justice qui, comme par hasard, sera exposé sur la table dés que l'on commencera à tenir des propos défavorables à l'égard du régime (Messieurs Abdoul Mbaye et Cheikh Bamba Dièye). Une atmosphère donc bien tendue, sur fond de marchandisation, très dangereuse pour l'avenir démocratique du Sénégal qui risque d'avoir à la tête de son État un Président qui se sera montré incapable d'affronter et de vaincre intellectuellement ses Opposants. Un Président qui aura usé de la Justice pour museler ses adversaires qui, en retour, bénéficieront, dans ce combat déloyal, de l'empathie des Sénégalais, laquelle ils ne mériteraient peut-être pas. Un Président qui, là, se fait, non la réputation d'un Homme d'État, de fermeté et de justice, mais celle d'un politicien versatile, belliqueux et confus.


En ayant provoqué l'alternance de 2012, la Jeunesse Sénégalaise avait exprimé son ambition de vivre dans une stabilité constitutionnelle, de bâtir une économie prospère, mais aussi de se doter d'une Justice impartiale et transparente. Cinq années après, cette Justice escomptée n'a émergé que sous les yeux complaisants. Une Justice sélective, même au cas où elle se serait employée à emprisonner de véritables coupables de détournement de deniers publics, demeure une injustice. Ce à quoi aspirent les Sénégalais, c'est bien une Justice pour tous, au-dessus de tous.


Et les actes posés par l'actuel régime, durant ce temps d'observation que je m'oblige toujours d'accorder aux nouveaux régimes afin qu'ils fassent leurs preuves, me laissent dire qu'il est trop tard d'amorcer ce chantier; et qu'il n'en a même pas la volonté. D'où, il n'est plus raisonnable d'espérer cela de lui.


Pour acquérir une Justice juste et indépendante, les Sénégalais devront donc s'offrir une alternance en 2019. Cependant, s'ils prennent du temps à concrétiser cette alternance, ou peinent à faire confiance aux autres prétendants au Pouvoir, alors qu'ils se fassent résilients et attendent que notre Génération ait l'âge de se voir confier les Affaires publiques. Nous sommes ceux qui refusent d'avoir pour mentors les deux éternels seigneurs de l'Alliance des Forces pour le Progrès et du Parti Socialiste. Nous sommes destinés à redonner Dignité et Hauteur à la politique Sénégalaise qui, encore aujourd'hui, est non au service du Citoyen, mais des assoiffés de prestige et délinquants financiers.



(1) Patrimoine établi en 2012. Déjà, qui est l'auteur de son évaluation ?

(2) Des personnalité ayant rejoint la mouvance présidentielle, ou transhumé, en langage ordinaire : M. Kalidou Diallo, Mde Marie-Thérèse Diédhiou, M. Modibo Diop, Mde Safiétou Ndiaye Diop, M. Abdou Fall, M. Djibo Leyti Ka, M. Thierno Lo, Mde Innocence Ntap Ndiaye, M. Serigne Mbacké Ndiaye, M. Ousmane Ngom, M. Khoureychi Thiam, M. Cheikh Touré, M. Baïla Wane.

(3) L'exemple de Monsieur Baïla Wane, ancien directeur de la Loterie Nationale Sénégalaise, lui aussi devenu fervent « ami du Président », est tout aussi illustratif : un joli parcours politico-judiciaire, des non-lieux, des milliards disparus et des Sénégalais restés sur leur faim...



Photo de couverture : © Google Image

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