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  • Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Une nouvelle bible de la littérature

Dernière mise à jour : 17 sept. 2023

Les hommes se servent des mots ; le poète les sert.

Octavio Paz (1914-1998)

Il a fallu de peu qu’être poète ne voulût plus rien dire. La poésie, au regard des sollicitations vagabondes et de sa lecture sèchement comédienne, est exposée à l’usure. Etonnamment, elle ne jouit des premières attentions qu’avec l’effusion des pulsions amoureuses qu’elle serait la mieux indiquée à satisfaire. Dans les élans des plus romantiques, les conquérants, comme pour honorer un rituel, laissent entendre le besoin ardent de disposer d’un poème dédié à l’âme sœur. S’ils ne le rédigent pas eux-mêmes, ils recourront à un proche qui saura, par les mots, faire le bon intercesseur auprès de l’âme aimée. Il ne fait aucun doute, il est compris de tous que la poésie est un moyen de communication. Et si l’amour est celui qu’elle transmet le plus couramment, elle est également mobilisable pour porter les fleurs des hommages, l’angoisse de la perdition et préserver l’indignation de la haine.


« C’est l’histoire des douleurs

Que de raconter l’amour

/…/

Oublie alors ces filles

Prends ce qu’elles veulent te donner

Mais ne demande jamais plus (…) »

Douleur amour, p.74


La poésie n’est donc réductible à aucune thématique. Mais être autorisé à parler de tout — peu importe la nature de ce que vous dites, pourvu qu’il vienne de vous — en alignant les mots fantômes fébrilement extirpés du dictionnaire et les rimes coincées, par une typographie aléatoire, est un tort à la poésie. Elle, elle n’est ni hermétisme ni légèreté.


« La poésie est une forêt de sensations

Qui fleurissent dans la simplicité de la vie »

Poètes ou pas, p.29


La contourner parce qu’elle serait un genre difficile prouve que vous n’en avez jamais lu ; se rabattre à elle pour se sacrer écrivain dit qu’elle ne va jamais vous réussir. La poésie, c’est un art (entendez par là, du partage et de la qualité). La poésie, ce n’est pas le bordel de la littérature.

Testament Poétique, et quelques vues sur les couleurs de l’âme est de la poésie.

D’abord, on sait que le texte dit quelque chose. Sa compréhension n’est pas plus ardue que sa lecture rendue aisée par un lexique ordinaire et attrayante par une cadence haletante qui maintient le suspense derrière des vers plus que digestes. De rares et précieuses ponctuations ralentissent le monologue pour l’étendre à un tiers lecteur qui ne peut manquer d’être surpris par une conversation visiblement inspirée de ces questions qu’il pensait, lui le Lecteur, être le seul à vivre. L’âme qui a dicté la poésie, ce Testament, se fond dans la silhouette d’une sorte d’oracle avec qui le Lecteur peut entretenir une intimité singulière. Intimité humaine, intimité flexible, qui à travers chaque texte pénétré, reconstitue l’universalité. De l’émotion, inéluctablement.

Ensuite, on sait que le texte dit quelque chose de profond. La littérature a le pari de rapporter les choses déjà connues ou pressenties, qu’on peine souvent à s’expliquer soi-même. La manière de faire et d’interpréter est ce qui fait sa signature. Elle tente de résoudre l’énigme de l’existence en consultant l’être dans toutes ses facettes. Ce pari déjà considérable, la poésie l’endosse, en revendiquant un pragmatisme de plus : la concision. Le principe du tout dire en peu de mots est une exigence qu’on ne lui concurrence pas. Voilà comment Testament Poétique a été composé, où l’insaisissable a été déshabillé ou, tout au moins, dévisagé. Ici, c’est une méditation sur le monde où le langage n’est pas une simple affaire d’homme, des litres de parole. L’individu est découvert dans sa personnalité, dans l’autrui, dans l’épreuve du temps.


« (…) Je regarde alors les gens différents

En escomptant découvrir ce qu’il y a en eux

A bien regarder je verrai peut-être

Les aspérités saillantes saillies (…) »

Désordre mental, p.97


« Le passé ne compte pas sinon tu n’aurais pas oublié »

Confessions maritimes, p.78


Il est surtout plus dans les « choses que les êtres » ; ou dans les choses qui parviennent à l’existence sauvés de leur statut vulgaire aux yeux de l’homme. De toutes, la présence de la mer reste particulière : elle est une confidente de l’auteur, une muse, une innocence, un calme, une bouche…à l’haleine funeste. Elle a avalé Amacoumba Mbodj, le Frère d’armes ; les Débrouillards dans les Barsakh et les morts par négligence du Jola… Cette mer, à l’instar du thé, du panini, des brisures de puanteur, du hip-hop, fait office de rampe menant à l’homme qui finalement, malgré l’instabilité de ses amours, les doutes qui l’assaillent, le fatalisme qui l’exaspère et le bonheur qui le maintient, n’est pas si désemparé que ça. Ce que livre Testament Poétique, c’est comment mener la vie. Voilà de quoi parle l’ouvrage.

« (…) Le hip- hop par la voix du rap écrit l’histoire

Parallèle du gavroche et du prolétaire

Une vie de pleurs, de sang et de déboires

Une vie ignorée des yeux inattentifs,

Coincés dans leurs tours d’ivoire

/…/

Les lunatiques et disciples de Keyti

Vous assurent les rimes de vie

Qui animent la vie des crevards

Aux penchants de fêtards

Les réalités de la rue prennent forme

Dans le Hip-Hop

Djily Bakhdad, Black Arafat

Analyse à la manière d’une Fouine

Les travers de la société sénégalaise

La vérité inconnue des orthodoxes

Eternels combats pour la justice »

Hip hop, pp.75-76


« (…) Et après ?

Rien. La mort c’est la fin.

Le paradis et l’enfer sont des projections

La suspicion, les mirages et les peurs ont

Raison des hommes.

On prend sa ration de souffrance

Et on s’en va.

L’éternité est une impasse imaginaire

Et après ?

Que dieu me brûle dans son paradis

Tant rêvé.

Qu’il me choie dans son enfer

A côté de Lucifer.

Et après ? (…) »

Et après... pp.27-28


Enfin, on sait que le texte dit quelque chose de capital. En soi, tenter l’expérience de la poésie, à la recherche des souffles de l’âme répandue dans l’univers, hors de l’armure de nos illustres devanciers, est déjà prestigieux. Mais il faut aussi savoir que Testament Poétique est une écriture suffisamment ambitieuse pour ne pas se contenter d’être une nouvelle fresque sur les mystères inépuisables de l’existence. Il propose des pistes plus praticables, liées à la condition humaine, en lieu et place des émerveillement et désenchantement habituels sur les rapports de l’Homme avec ce qui échappe à son contrôle. Parce que Testament Poétique est le livre de la raison et de la logique, il propose, pour atteindre le monde meilleur, d’en découdre d’abord avec les problèmes les plus élémentaires et actuels, avant de nourrir la prétention d’incarner la grandeur. C’est un livre engagé, un livre citoyen, qui réfléchit prestement sur la pauvreté, les inégalités, les martyres, les enfants de la rue, l’insalubrité, la jeunesse et ses tentations, le fanatisme etc. C’est un livre comme on en voit rarement, d’une intelligence et d’une finesse qui contrarient l’indifférence et réhabilitent l’humanité de la littérature.


« Ici miroitent leurs esprits jadis avides de justice

Ici demeurent leurs cœurs à jamais arrêtés

Mais que vous êtes morts pour rien

Mais que votre combat n’aura servi à rien »

La patrie reconnaissante, pp. 84-85

Au total, Testament Poétique, et quelques vues sur les couleurs de l’âme est le poing d’une poésie tutoyée et maladroitement narguée parmi les genres littéraires, un démenti de l’hégémonie puriste aux manières serviles, une rigueur dans son expression et de la justesse dans la réflexion. C’est un recueil de poésie qui a beaucoup de qualités pour fasciner, même quand on sait déjà que son auteur, Hamidou Samba Ba, enfant de Pikine, étoile du Prytanée Militaire de Saint-Louis et vagabond intellectuel à Gaston Berger, a déjà donné à l’école africaine une raison d’exister. Et au monde, d’y croire.

Qui pour prier L'Alchimiste de rejoindre, en toute aise, la table des Immortels ?


L’expérience fondamentale qu’elle m’a servi

Transparait dans chacune de mes idées et de mes gestes

Elle s’est greffée dans mon subconscient

De sorte à me faire penser à la patrie d’abord

A rendre service d’abord

Encore et encore (…) »

Prytanée Militaire, pp. 71-73



Photo de couverture : © Hamidou Samba Ba

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