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  • Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

L’insupportable mort du commandant Ismaël Touhogobou

Dernière mise à jour : 5 mars


Hier matin, j’ai vu passer un texte dans lequel son auteur réfléchissait sur la mort et la perte de son oncle. J’ai maladroitement présenté mes condoléances à un de mes aînés du Prytanée, qui n’en était pas l’auteur.


Le véritable auteur s’appelait Ismaël Touhogobou, ce commandant de l’armée burkinabè qui vient d’être tué lors de son interpellation, dimanche 8 octobre 2023. Il est suspecté d’avoir participé à la tentative de coup d’État du 27 septembre dernier.


C’est bien tard dans la soirée que j’ai découvert son visage. L’ai reconnu. Lors des défilés nationaux, quand j’étais encore dans les rangs, il était le porte-drapeau, ce roc qui devait tenir, droit, l’emblème national tout au long de la cérémonie. Ni fatigue ni vents impétueux ne devaient le faire vaciller. Il en allait de sa dignité d’officier.


Dans mes souvenirs, cet officier avait quelque chose de particulier. Il était un géant, un géant souriant. Peut-être parce que je le regardais avec des yeux d’adolescent. Je le vois bien nous dépasser avec son visage amical, répondre à une salutation ci et là. Cette attitude tranchait avec celle de nombreux autres officiers, à la mine souvent grave, fermée, trop conscients de leur mission ou victimes d’un excès de caractère.


Qu’une telle personne meure dans de pareilles circonstances, aux environs de 7 heures du matin, à son domicile, est inquiétant. Cela laisse sans voix. Le communiqué du procureur militaire, le magistrat commandant Pousbila Alphonse Zorma, n’est guère plus rassurant : « S’opposant à son interpellation, l’officier aurait fait usage de son arme, blessant un élément de l’équipe d’interpellation qui a été admis dans un centre de santé pour des soins appropriés. »


Si l’usage du conditionnel dans le propos du procureur militaire peut être salué comme une marque de prudence, il reste que les questions auxquelles il doit apporter réponse sont nombreuses. L’officier a-t-il été tué par arme à feu ? Où a-t-il été atteint ? A-t-il pointé son arme sur quelqu’un ? Quelles sont exactement les blessures de l’élément de l’équipe d’interpellation ?


D’autres questions plus graves me préoccupent. À supposer que le commandant Ismaël Touhogobou ait fait usage de son arme (ce qui me surprendrait à titre personnel), n’y avait-il pas la possibilité pour toute une équipe d’interpellation de l’arrêter, le neutraliser, sans le tuer ?

Je comprends que dans l’état de guerre que vit le Burkina Faso, dans la succession des coups d’État et des craintes allant avec, la tension est au maximum. Mais croire que la mort d’une personne, dans des circonstances aussi troubles, déplorables, est la solution : c’est tout simplement faire fausse route.


Avoir participé ou non à une tentative de coup d’État n’enlève pas à un suspect le droit à un procès. Aujourd’hui où il en a été privé, c’est plus du discrédit qu’une satisfaction que récoltent les institutions de la Transition burkinabè. Ce genre d’évènements malheureux, inopportuns, créent du malaise, de la méfiance, aussi bien dans les rangs que dans la population.

C’est comme quand le gouvernement se met à enrôler de force ses critiques, activistes ou docteur civil, pour soi-disant les sensibiliser à la guerre. En plus d’exposer les victimes d’une telle décision, ces vieilles méthodes fougueuses dénotent un emploi inintelligent des ressources humaines d’un pays en guerre.

La politique est plus difficile que commander des troupes qui ont le devoir d’exécuter. Car en politique, on est assailli de contradicteurs, même quand l’on est animé des meilleures intentions, porteur des meilleurs projets. Employer les méthodes fortes, qui découlent souvent en bains de sang, revient à prendre des raccourcis. C’est se tirer une balle dans le pied.


Malgré l’urgence et les défis multiples, la Transition burkinabè a intérêt à créer un climat apaisé dans ses rangs comme au sein de la population. Cela passe par une stratégie de dialogue constant et non des actions téméraires de mise au pas. Autrement, c’est l’ennemi qui se réjouira d’assister à d’éternels déchirements fratricides.


Puisse le commandant Ismaël Touhogobou reposer en paix. Puisse son sourire ne jamais pâlir, sous terre ou dans les cieux. Puisse notre souvenir de lui comme un grand homme ne jamais être dissout.


Je présente mes sincères condoléances à sa famille, à la Nation mère du Burkina Faso, à ses frères d’armes ainsi qu’à l’ensemble des anciens enfants de troupe.



Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye est l’auteur du blog Assumer l’Afrique. Né à Diourbel, cœur du Sénégal, il a vécu sept ans au Burkina Faso, au Prytanée Militaire de Kadiogo. Écrivain à temps partiel, amant attitré de la poésie (auteur d’une dizaine de recueils), il écrit en wolof, français et anglais.


Il est titulaire de quatre masters en droit (Sciences Po Paris, Panthéon-Assas), en communication (Paris-Saclay) et en gestion publique (ENA — Paris-Dauphine). Pour en savoir plus sur l’auteur. 



Photo de couverture : © Photo personnelle du commandant Ismaël Touhogobou

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