top of page
1[1].png
  • Photo du rédacteurCheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Être père

Dernière mise à jour : 2 avr.

Je croyais avoir cerné le bonheur. Il ne m'avait montré que quelques facettes. Depuis la naissance de notre fils, j'ai arrêté de le définir. Il faut être fou pour vouloir saisir quelque chose d'aussi surprenant et inépuisable. 


J'écris ce texte avec un échec d'avance. Je ne saurais bien décrire ce j'ai ressenti en devenant père, ce que je ressens chaque jour. Je l'écris néanmoins, car j'ai foi en l'écriture, en son éternité et son sens du partage. Peut-être que dans un siècle, entouré de ses petits-enfants, notre fils ressentira à travers ces mots combien il nous a comblés d'amour. Combien nous avons peur d'oublier, de négliger ou de perdre cet amour. Combien il est le fruit de l'amour. 


En apprenant sa venue au monde, j'ai soulevé ma Femme sans le faire exprès. J'ai pensé à elle alors que je la tenais dans mes bras. Elle, la plus précieuse partie de mon être. Plus que jamais, me suis-je dit, notre unité est réalisée, irrevocable, éternelle.


C'était déjà le cas. Les liens du mariage sont le champ du bonheur. Tous les deux, nous y avons planté notre âme et notre cœur. Avec persévérance, nous avons labouré nos êtres, vécu dans la joie, travaillé sur nos défauts, partagé nos angoisses. Pour fondre chacun dans l'autre. Faire unité, tel que nous souhaitons l'être au Paradis. 


Ce n'est pas la responsabilité d'un enfant de planter le bonheur dans un ménage. L'enfant doit juste en assurer la perpétuité. Durant plusieurs mois, j'ai plus pensé à ma Femme qu'à notre fils. Ou n'ai pensé à notre fils qu'à travers ma Femme. Cela changera-t-il un jour ? Je ne le souhaite pas. 


Entre le symbole de la procréation et le déroulement d'une grossesse, difficile de dire ce qu'il y a de plus puissant. De plus bouleversant. De plus beau. Savoir qu'une âme portant nos deux empreintes prenait souffle dans le corps de ma Femme m'a rendu attaché à son ventre. Au point où, quelque part, je  n'avais pas envie de voir la grossesse pendre fin. 


Je me rappelle ce jour, dans la dernière ligne droite, où nous nous sommes dit qu'il fallait qu'on commence à faire de la place au nouvel arrivant. Comment serait cette nouvelle vie ? Nous avions juste éclaté de rire à cette question. 


Mais être père, en cours de grossesse, c'est surtout savoir être humble. Être constant sur un principe : à deux nous avons conçu un être, à deux nous vivrons sa grossesse, à deux nous nous chargerons de son éducation. À deux, nous ferons tout notre possible pour en faire une belle âme. 


Je parle d'humilité, car l'effort du père le plus dévoué me semble presque dérisoire face à ce que vit, éprouve, endure une femme enceinte. Transporter les bagages, s'investir dans les tâches ménagères, être présent à chaque visite, maintenir une atmosphère de sérénité dans la maison sont, certes, des contributions nécessaires. Mais elles peuvent juste atténuer les gênes occasionnées par le corps en métamorphose. 


Ce ventre qui croît et s'ouvre comme une fleur, un champignon, un parapluie. Ces vergetures qui apparaissent brusquement et sur lesquelles il est impératif de poser un regard de poète : voir en elles des griffes, des décorations de haute lutte, des marques de noblesse. Car, il n'y a pas de plus minable que l'homme laissant sa femme avoir honte de son corps. Avec ou sans grossesse. 


Les nausées et durs vomissements pour certaines, les nuits sans sommeil, les changements d'appétit, la fatigue, les coups de poing du bébé, parsèment ces mois. Les vivre est une grâce. Être reconnaissant envers la première concernée, en ne faisant pas passer ce qu'elle a vécu pour un simple rite de passage commun à toutes les femmes, est un devoir. Une question de respect, d'amour et d'humanité. 


L'accouchement et la suite sont encore plus incroyables. La douleur se présente de manière ponctuelle, méticuleuse. Je vois ma Femme lui répondre avec force, larmes et sueurs. Elle s'agrippe à ma main, que je crois broyée, sachant qu'elle n'y décharge qu'une infime partie de la douleur qui la traverse. 


Pour savoir à quel point cette douleur est réelle, esthétique, il faut observer ce sourire, ce vent de soulagement qui balaie son visage après une contraction. C'est comme si elle venait de sortir d'une eau bénite. Sur recommendation de la magnifique Anna, Sama Doula, c'est là que j'ai essayé de me rendre utile : exécuter un massage, placer un mot d'encouragement, essayer une blague. Le tout en priant. 


La naissance est l'une des plus éloquentes manifestations de la puissance de Dieu. Entendre les battements du cœur alors que l'enfant n'a pas la taille d'un petit pois. Le voir grandir, dormir, bouger, alors qu'aucune main ne l'a nourri, aucun bras ne l'a bercé. Voir sa tête se frayer un passage pour sortir afin que l'Humanité soit à jamais enrichie de sa présence. 


C'est allé vite. Le moment où j'ai vu la tête de notre fils, tout son corps, dehors. Le moment où j'ai vu ma Femme prendre ce bel être dans ses bras, le serrer contre elle. J'étais là, debout, à les regarder, l'entendre le rassurer. Il me semble qu'ils se connaissaient depuis longtemps. 


Il était là, la chair de la chair de nos mères et pères. Il était là, le serment renouvelé de plusieurs lignées de femmes et hommes, qui ont adoré Dieu et honoré leurs prochains. Il était là, l'être que Dieu nous a confié, ma Femme et moi, pour l'accompagner à devenir l'une de Ses plus illustres créatures. 


En coupant le cordon ombilical, j'ai eu le sentiment que je le faisais officiellement entrer sous notre responsabilité. Il sortait du ventre pour répondre à nos bras. En appuyant sur les ciseaux, j'ai pensé à mon homonyme, Serigne Touba, et à son guide, le Prophète Mouhammad. 


Ainsi suis-je devenu père. Ainsi ne suffit-il plus d'aspirer à être un excellent mari. Dieu et Ses prophètes me regardent. Mes ancêtres me regardent. Et surtout, notre fils me regarde, tout le temps, avec ce sourire, le plus délicieux de toute ma vie. C'est comme s'il était en train de me dire : « Ne t'en fais pas, père. Tout ira très bien. »


Exactement, la même chose que je veux qu'il retienne : aujourd'hui, et pour toujours. 



Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye est l’auteur du blog Assumer l’Afrique. Né à Diourbel, cœur du Sénégal, il a vécu sept ans au Burkina Faso, au Prytanée Militaire de Kadiogo. Écrivain à temps partiel, amant attitré de la poésie (auteur d’une dizaine de recueils), il écrit en wolof, français et anglais.


Il est titulaire de quatre masters en droit (Sciences Po Paris, Panthéon-Assas), en communication (Paris-Saclay) et en gestion publique (ENA — Paris-Dauphine). Pour en savoir plus sur l’auteur.



Photo de couverture : © Aïssatou Ndiaye

Photo blog_edited_edited_edited.png

Assumer l’Afrique est une communauté basée sur l’échange. Chaque avis compte.

N’hésitez pas à prendre la parole, liker ou partager cet article ou tout autre de la centaine d’articles disponibles ci-dessous.

Design sans titre.png
bottom of page