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  • Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Pur-sang

Dernière mise à jour : 13 nov. 2023

« Reine-Mère, parle à mes fesses. Elles t'obéiront certainement. Je n’ai cessé de les supplier jours et nuits, mais elles ne m’ont adressé même une crampe. Je les sens inertes, oisives, pourtant elles ne devraient pas. Pour être Roi, à la suite de mes Ancêtres, mes fesses doivent prouver qu’elles ont du caractère. Elles doivent montrer à ce vieux rocher que rien ne peut retenir un Roi qui se lève. Mes fesses ne doivent pas être ses prisonnières ; viens, brave Reine-Mère, les affranchir. »


« L’aube ne doit pas me trouver assis. À moins de me lever aujourd’hui, la fanfare de Loumbélo devra demain devancer le chant du coq. Connaissant ton amour des symboles, j’avais espéré que tu me les libèrerais hier. C’aurait été un beau couplet de mon panégyrique : « Pékhé, né le sixième jour, du sixième mois, de la sixième Princesse de Mbelkane ! Pékhé, Fils du sixième Roi de Loumbélo, béni à la sixième nuit par les Ancêtres, alors que six aigris et calomniateurs commençaient à dérouler leurs langues ! Pékhé, la tempête dormante qui foudroie au sixième degré ses ennemis !… Pékhé, Roi dont le buste sacré surplombe le sixième ciel !…Pékhé…! » Ah Reine-Mère, pourquoi n’es-tu donc pas venue hier ? Je t’ai intimement attendue. »


« Aurais-je, par mégarde, mal exécuté tes instructions ? Je m’excuse, si tel est le cas, pourvu que tu me décolles les fesses de ce rocher. »


« Rappelle-toi, j’eus bien pris la peine de visiter mon père durant sa traînante agonie. Lorsque j’appris qu’il se fut décidé de s’en aller, je feignis également d’être triste. Il m’arriva, à trois reprises, de faire couler mes larmes devant une assemblée se livrant aux témoignages sur l’illustre défunt. »


« Je crois également que je fus pondéré dans mon hypocrisie : je ne pleurai pas comme imitant un beuglement. Je simulai trois suffocations, pas plus ; utilisai sept mouchoirs et choisis avec soin les bras dans lesquels je tombai pour me faire consoler. Ceux furent ceux du vieux Daga, l’octogénaire que tu eus promu mon parrain. Il n’a pas changé depuis ta mort : intelligent et dévoué. Il aura usé de toutes les voies pour faire aboutir notre projet de disqualification de Mougneul. Et je suis convaincu qu’à l’heure, le vieux Daga m’attend à la porte de cette grotte. La récompense que je lui réserve prouvera que moi, Pékhé, suis plus libéral que mon père et tous mes prédécesseurs. »


« Reine-Mère, je me fus aussi gardé de faire allusion à la succession durant les soixante nuits de funérailles. Mougneul, mon idiot d’aîné, se fut déjà pris pour le Roi établi. Il eut donné les ordres pour l’organisation des cérémonies, lesquels je me fus précipité de transmettre ou d’exécuter moi-même. Il m’eut même semblé l’entendre murmurer que je ferais un bon Barkagne, la seconde autorité de Loumbélo. Tu m’eus appris, Reine-Mère, la générosité ; je lui fis donc la faveur de jouir de son rêve. »


« Reine-Mère, dis-moi si je parlai alors que je n’aurais pas dû. J’eus bien pris la précaution de ne pas contester publiquement la légitimité de Mougneul. Je parus découvrir la bombe au moment qu’elle explosa. Ce fut le vieux Daga qui l’eut déclenchée avec un calme dont le souvenir me plaît. Il eut d’abord rappelé combien son âge le défendait de mentir et lui conférait un statut fort particulier, celui de gardien des us et coutumes, de la Vérité. »


« Par devoir de conformité à nos Ancêtres, eut-il dit, moi Daga, le baobab né d’une semence noble au milieu des herbes, m’oppose à la nomination de Mougneul pour succéder à son défunt père. Notre amour pour le défunt Roi ne doit pas nous amener à perpétuer l’erreur qu’il commit. Tout le monde sait que le défunt Roi n’aurait jamais dû succomber à son fol amour de la mère de Mougneul. Certes, la hanche de Diétali était plus percutante qu’un coup de pilon matinal ; certes, les parfums de Diétali nous rendaient tous ivres ; certes, les qualités humaines Diétali étaient inépuisables ; mais elle n’était pas née dans la bonne caste. Les Muutis font partie des valets de nous nobles. Mougneul n’est donc pas un pur-sang. Il ne peut pas être notre Roi sans salir la mémoire de nos Ancêtres. »


« Gens de Loumbélo, rappelez-vous, eut rajouté le parfait Daga, qu’à la mort triste et prématurée de Diétali, ce fut à la nourrice de Mougneul que son père, contre l’avis de tous ses conseillers, confia l’orphelin pour la poursuite de l’allaitement. Cette nourrice, par la grâce de Dieu et des Ancêtres, est encore vivante.

Abaya, Soxna Abaya, juggël ! Abaya, dame Abaya, lève-toi !

Sew, doomu baayam ! Mangui nii, Gorgui Daga. Sew, du nom de mon Père. Me voici Daga !

Abaya, yaw, fattalil ñi yaw li nga doon. Abaya, rappelle-leur ta caste.

Daga, fii ken umpële wu fi ne may sa Fakal, yaw ak sa askaan. Daga, nul ici n’ignore que je suis ta Fakal, la Fakal de toute ta caste. »


Le vieux Daga se fut rassis avec les applaudissements qui ne furent pas uniquement ceux des badauds qu’on eut recrutés. Deux autres Anciens, non informés de notre projet, le rejoignirent dans sa position. Et Mougneul, se sentant en minorité, se leva. Il ne chercha pas à se défendre. Il enfourcha vigoureusement sa monture et s’éclipsa en nous laissant une seule phrase qu’on mit sur le compte de la colère : « Ku ne fi ne sama Ndey gënul ndeyam day fenn. Jaraama sama Ndey. Ment quiconque dit que ma Mère n’est pas meilleure que sa mère. Honneur sur ma Mère ! »


« C’est ainsi, Reine-Mère, que tu m'eus ordonné de procéder. Je le fis. Mougneul parti, tous les regards se dirigèrent vers le dernier candidat que je fus. J’essayai d’arborer l’air grave de mon père. On chanta ton nom, Reine-Mère ; rappela les faits héroïques de mon Grand-père de Mbelkane, avant de me demander si j’étais prêt à assumer les responsabilités de mes Pères. Je leur récitai la phrase que tu m’eus jadis tant fait répéter : « Je marcherai dans les traces de mes Pères et irai aussi loin que mon âge me le permettra. »


« Les chants et les tambours me conduisirent au foyer de la Prêtresse de Loumbélo. Elle me déshabilla et prépara de longues heures. Elle versa sur moi incantations, versets de Livres saints et tout ce qu’elle possédait de sciences. Puis, elle m’ordonna de me diriger vers la grotte où elle me fit asseoir sur le rocher à son centre. »


« Reine-Mère, pourquoi suis-je donc incapable de me lever du rocher et parachever mon intronisation, comme jadis le firent mes Pères ? Lequel de mes devoirs aurais-je manqué ? Es-tu, là-bas dans les cieux, en train de plaider ma cause auprès des Ancêtres ? Dis-leur, s’il te plaît, Reine-Mère, de faire vite. Le chant du coq est proche et je cours droit vers ma faillite. »


« Reine-Mère ! »


« Reine-Mère… »


« Reine … Mère…»


« Reine-Mère, dis à ces ancêtres que je les renie de la même manière qu’ils me renièrent. Ils eurent pris le plaisir de me faire patienter sept nuits, au cours desquelles j’eus veillé à tout leur promettre et les eus priés avec leurs plus beaux titres. J’eus rappelé à Kangam, fondateur de Loumbélo, son affrontement avec la colonie de lions pour planter la première case. J’eus dit à Teukou que les ennemis de Loumbélo ne l’ont plus approché depuis les défaites qu’il leur infligea ; leurs descendants sont devenus aussi dociles que des brebis castrées. À Yamandé, j’eus sollicité la sagesse et la clémence, qui donnèrent pour toujours à Loumbélo une réputation plus propre que la main d’un saint. Et ils ne me répondirent point. »


« Reine-Mère, où toi-même fus-tu lorsque la Prêtresse et ses hommes vinrent m’extirper du rocher à l’aube de la huitième journée ? L’inédite humiliation d’un Roi désapprouvé, sur qui il faut verser de l’urine d’hyène mélangée à du sang de charognard et des yeux de hibou, le tout malaxé dans le sabot d’une jument. Je sortis par la plus petite des entrées de la grotte, rampant, avec aux fesses les coups de sabot de cette satanique de Prêtresse édentée. »


« Reine-Mère, où fus-tu ? Où es-tu ? Je n’écoute que toi. Sais-tu que cet échec est le tien ? Aurais-tu, toi aussi, fui comme Daga le rapace et ses semblables ? Serais-tu, parmi eux, à danser à la gloire du nouveau souverain Mougneul-Sang-de-Muuti, né de Diétali-la-Muutie et nourri du lait d’Abaya-la-Fakal, qui pourtant est assis à la place de ton fils pur-sang ? Sais-tu déjà que de tous les successeurs de Kangam, Mougneul est celui qui mit le moins de temps pour voir son élection bénie par ces malheureux ancêtres ? À peine fut-il entré dans la grotte qu’il ressortit. À peine eut-il posé ses fesses sur le rocher que celui-ci les éjecta. À peine fut-il apparu dans son costume de Roi que tout Loumbélo se prosterna devant sa prestance : les Hommes, les bestiaux, les éléments, le ciel et la terre. Reine-Mère, montre-toi : tu ne fus même pas capable de mettre au monde un enfant aussi illustre que celui de la Muutie. »


« Sais-tu, mère désastreuse, que si aujourd’hui Mougneul voulait faire de moi son valet, je courrais accepter ce statut auprès de lui. Il est meilleur que moi : je n’ai aucun doute là-dessus. Il m’est plus utile que Daga et toi : il m’a donné la preuve. À son passage éclair dans la grotte, il n’obtint pas la seule bénédiction des Ancêtres pour régner sur Loumbélo, mais aussi l’absolution pour le Roi désapprouvé. N’eût-été son intercession, mon sort était déjà exécuté : être servi en offrande à une hyène femelle et deux paires de charognards, pour avoir vu les secrets de la Royauté sans avoir pu devenir Roi. Heureusement qu’à Loumbélo, il restait un Homme comme Mougneul, un sang impur qui sut, lui, songer à sauver son frère au moment où tous les pur-sang se sont révélés plus lâches qu’un soleil d’hivernage. »


« Ku ne fi ne Ndeyu Mougnal gënul ndayaam daay fenn. Jaraama Ndeyu Mougnal ! Ment quiconque dit que la Mère de Mougneul n’est pas meilleure que sa mère. Honneur sur la Mère de Mougneul ! »



Photo de couverture : © Marck Rodriguez

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